Karim Sabba: L’homme aux multiples casquettes

Isabelle Mercier
| 13 min read

Photo: Karim Sabba

Karim Sabba porte plusieurs casquettes; entre autres celles de co-fondateur de Woorton (broker-dealer et market-maker d’actifs digitaux) et de la French Digital Asset Association. En 2018, il lance CryptoMondays Paris et le Paris Blockchain Week Summit après avoir été nommé dans la liste Forbes 30 Under 30. Il a accepté de se prêter au jeu des questions / réponses pour Cryptonews.

Qu’est-ce qui vous a amené à lancer les CryptoMondays et comment décririez vous cet événement?

Les CryptoMondays ont joué un rôle phare dans la création de la Paris Blockchain Week. Il nous a semblé évident en organisant les CryptoMondays qu’il existait un public pour un événement beaucoup plus important. Les participants aux CryptoMondays n’étaient pas seulement nombreux mais étaient aussi extrêmement intéressés et motivés par les événements. Cela a été le tremplin de la Paris Blockchain Week et nous n’aurions pas mesuré l’intérêt pour une grande conférence si nous n’avions pas mis en place les CryptoMondays.

Comment s’est déroulé le lancement des CryptoMondays est une autre histoire. Avant d’organiser les CryptoMondays, nous avions déjà créé la French Digital Asset Association. Dans ce cadre, nous organisions régulièrement des ateliers et des séminaires qui nous ont aidé à créer une communauté de “crypto enthousiastes” à Paris. Nous avons alors été contacté par le fondateur des CryptoMondays, Lou Kerner, qui nous a suggéré de lancer les CryptoMondays à Paris. Cela s’est présenté naturellement comme l’étape suivante vu que nous avions déjà beaucoup de personnes qui participaient régulièrement à nos ateliers.

Les CryptoMondays ont toujours attiré des intervenants du monde de l’entrepreneuriat, de la politique et de la tech de premier plan. Ceci ajouté à notre public particulièrement impliqué et motivé a conduit à faire des CryptoMondays Paris une belle réussite et d’en faire le rendez-vous de Crypto Mondays le plus couru dans le monde avec une communauté de plus de 2500 membres.

Est-ce que Paris et plus généralement la France jouent un rôle significatif dans l’écosystème crypto?

Paris est devenu rapidement un des endroits les plus dynamiques en Europe dans le domaine des cryptomonnaies et des métiers de la blockchain. Nous avons déjà beaucoup de sociétés performantes dans ce domaine en France et de nombreuses autres sociétés réfléchissent actuellement à transférer leurs opérations en France. Nous sommes certains que la Paris Blockchain Week permettra de sceller l’accord final avec ceux qui sont en train de réfléchir à ce transfert en France.

Certaines des sociétés de la cryptomonnaie et des crypto-business sont déjà soit basées en France soit ont déjà leurs équipes clés en France. Tezos a une équipe de chercheurs ici ainsi qu’un centre de recherches basé a Paris. Ledger, le fournisseur de portefeuilles électroniques de premier plan est aussi d’ici. Ceux qui transfèrent leurs activités en France peuvent bénéficier du climat économique prospère actuel, mais il y a aussi beaucoup d’autres raisons pour lesquelles les crypto-business trouvent que la France est attractive.

La France a été visionnaire pour créer un écosystème qui a encouragé ces sociétés à croître. Le vote récent de la loi PACTE va mettre en place un ensemble de règles qui va faciliter le quotidien administratif des entreprises. Des tâches faciles comme celle d’ouvrir un compte en banque peuvent devenir un vrai challenge pour des crypto sociétés. Elles seront dans une position facilitée car elles auront un cadre réglementaire à respecter et d’autres institutions seront ainsi plus enclines à faire des affaires avec elles.

Certaines sociétés ont choisi des pays comme Malte pour établir leurs opérations. Va-t-on voir dans les années à venir une dichotomie entre les pays considérés comme “l’Eldorado de la Crypto” et celles qui ont raté le train?

Des pays comme Malte, l’Estonie et la France, qui prennent l’initiative de créer un cadre réglementaire pour les sociétés de crypto et de la blockchain seront évidemment en bien meilleures positions pour attirer plus de sociétés qui se sont développées tôt dans le domaine de la crypto et de la blockchain. Le degré de cette attirance sera à voir ultérieurement. D’autres pays vont probablement adopter des cadres réglementaires similaires s’ils voient qu’ils sont en retard et qu’ils doivent attirer des talents par d’autres moyens. Par exemple, des accélérateurs financés par des gouvernements peuvent être efficaces pour attirer des talents. Nous voyons un nombre de programmes d’accélérateurs partiellement ou pleinement financés par le gouvernement du Portugal car ils essaient de devenir un centre européen majeur en termes de technologie. La France est le siège de Chain Accelerator, le plus grand accélérateur blockchain, une initiative financée avec des fonds privés qui a pour but de diffuser l’adoption de la blockchain et de donner accès aux mentors, aux sociétés et aux investisseurs les plus en vue de la communauté globale de la blockchain dans son ensemble.

Ainsi, il est peu probable que nous verrons une dichotomie prendre place mais il y a bien sûr un avantage certain pour les pays qui poussent au changement. La France a échoué à exploiter la croissance sur le web et en IA alors il est intéressant de voir des députés prendre la vraie mesure du potentiel de la blockchain. Ainsi, des députés comme Laure de la Raudière, Jean-Michel Mis et Pierre Person ont joué un rôle important en poussant ces lois pour encourager l’adoption de cette technologie.

Vous êtes le co-fondateur de la French Digital Asset Association. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre rôle?

La French Digital Asset Association est au centre de plusieurs des activités que nous organisons. C’était un prédécesseur des CryptoMondays Paris, de la Paris Blockchain Week et de notre animateur de marche Woorton et elle a joué un rôle important dans la création de chacun de ces événements.

Nos roles sont multitâches dans cette association. D’un côté, nous travaillons intensément pour évangéliser en organisant des séminaires, des ateliers et des conférences. De l’autre, nous avons aussi beaucoup à faire au niveau des autorités publiques pour pousser au développement et à l’adoption de la technologie. Cela peut impliquer des discussions en tables rondes, des rendez-vous en face à face et des allers retours de questions réguliers. Nous avons construit une communauté impressionnante grâce à notre travail dans cette association.

Nous comptons parmi nos membres des sociétés telles que PwC, Gide, CACEIS, et Eiffel Investment Group. Nos membres retirent des avantages à faire partie de cette association et ils peuvent exploiter un réseau varié avec un large panel d’expertise ainsi que la possibilité de participer à des formations, des séminaires et à des discussions.

Sommes-nous à l’aube d’une révolution comme celle de l’Internet?

Oui, mais c’est une révolution bien différente. L’internet et le WWW ont rendu l’information ouvertement accessible à tous. Cela a servi à changer le monde et nous a rendu beaucoup plus efficaces dans la façon d’effectuer nos activités journalières. D’un autre côté, nous voyons aussi un mauvais traitement de la façon dont nos données sont gérées par de grandes compagnies fournissant des services online. Nos données sont devenues une marchandise et des scandales comme celui de Cambridge Analytica démontrent comme cela peut devenir néfaste. Nous voyons maintenant que le public est plus soucieux de la façon dont ses données et sa vie privée sont traitées.

Des protocoles décentralisés offrent beaucoup d’avantages dans ce domaine. Les données peuvent être rangées ou traitées par un énorme registre public décentralisé et du cryptage peut être appliqué pour protéger la vie privée. Si les utilisateurs détiennent leurs clés, ils sont en contrôle de leur propres données. Nous voyons un nombre énorme d’expériences prenant place avec différents types de protocoles. Certains ont construit des propriétés telles que la protection des données au niveau du protocole alors que d’autres ont amélioré des fonctions telles que l’adaptabilité et la fonctionnalité.

C’est certainement une révolution. Cela a déjà eu un réel impact avec plus de $300 millions qui transitent dans le réseau Bitcoin quotidiennement. La révolution en est à ses tous débuts. Mais comme un nombre croissant de développeurs s’intéressent à cette technologie, nous nous attendons à des moments excitants.

Est-ce que la décentralisation est compatible avec le monde tel que nous le connaissons, c’est à dire un monde contrôlé par les pouvoirs centraux, les banques et les gouvernements?

Il est certain que cela peut constituer une menace pour la monnaie fiduciaire mais cela ne la rend pas incompatible avec le monde centralisé dans lequel nous vivons. Nous voyons couramment des exemples de coexistence des deux. Des sociétés telles que Chainalysis ou Scorechain sont apparues pour fournir des logiciels d’analyse de la blockchain aux organisations gouvernementales. Ces genres de services améliorent la capacité des gouvernements à traiter des problèmes comme le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ou l’évasion fiscale.

Ce qui va être intéressant c’est de voir comment les deux vont coexister alors que la technologie continue à se développer et que des caractéristiques telle que la confidentialité des données personnelles est intégrée dans certains des protocoles. Nonobstant la façon dont elle va se développer, les gens voudront toujours créer des entreprises sur des territoires différents et devront payer des redevances aux gouvernements de ces juridictions pour ce faire.

En tenant compte de ce privilège, le gouvernement pourrait restreindre les entrepreneurs à faire leurs business avec seulement certains protocoles. On n’en sait pas plus pour le moment mais de ce qu’on a vu jusque là, les deux peuvent coexister et même profiter l’un de l’autre dans certaines circonstances.

En 2018, vous étiez nominés dans la Forbes 30 Under 30 list. Est ce que cette nomination est importante pour vous?

C’est toujours agréable d’être reconnu pour son travail mais nous ne voulons pas trop nous y attacher. Les cryptomonnaies et la blockchain sont un univers qui change rapidement et nous asseoir sur nos lauriers ne mènera qu’à manquer des opportunités.

Ce qui est intéressant c’est de voir que nous étions parmi les rares impliqués dans les cryptomonnaies et la blockchain à cette époque. Cela montre bien à quel stade précoce nous sommes dans cette industrie. Avec les années qui passent, nous verrons plus de personnes travailler avec les cryptomonnaies et la blockchain car elles sont encensées par les principaux medias.

La raison pour laquelle nous avons été nominés était due à notre travail au sein de la French Digital Asset Association et à nos efforts pour des changements positifs dans l’écosystème français. Nous espérons, avec la Paris Blockchain Week cette année, permettre de faire de la France un hub Européen des cryptomonnaies et des métiers de la Blockchain.

Vous êtes le co-fondateur de la Paris Blockchain Week, la première en France. Qu’est ce que les gens peuvent attendre de cet événement?

Premièrement et principalement, des intervenants et des sujets de grande qualité sont primordiaux pour procurer aux participants une expérience enrichissante. Pour cela, nous avons redoubler d’efforts pour obtenir la participation de professionnels qui interviennent sur le devant de la scène de la crypto-industrie. Des intervenants et des sujets de grande qualité attirent des participants avec de vraies expertises, donc tout le monde peut ainsi s’attendre à une réelle opportunité de networking.

La crypto est un domaine avec beaucoup d’aspects différents et nous avons quatre domaines principaux qui permettent de toucher tous les sujets importants. Ces quatre grands domaines sont la technologie, l’investissement, la régulation et les grands groupes. Dans chaque domaine, nous avons mis en place une gamme complète de discussions afin de toucher les points les plus importants du domaine de la crypto industrie aujourd’hui.

En plus de la conférence, il y a aussi d’autres activités auxquelles les participants peuvent assister. Il y aura plusieurs événements satellites organisés par le milieu de la tech et de la crypto à Paris. Paris est aussi une ville incroyable et nous espérons que chacun pourra prendre un peu de temps off de la crypto et profiter aussi un peu de la capitale.

Pour suivre Karim Sabba sur Twiiter: @KrmSbb

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