Zahreddine Touag: L’art de la polyvalence

Isabelle Mercier
| 12 min read

Zahreddine Touag a plusieurs cordes à son arc. En plus d’avoir été honoré au sein de la très sélect liste « Forbes 30 under 30 », il est trader en chef pour Woorton (premier broker-dealer & marker-maker de crypto-actifs français), porte-parole pour l’AFGC (Association Française pour la Gestion des Cybermonnaies), et co-organisateur des CryptoMondays Paris. Ce spécialiste en cryptos nous en dit plus sur son parcours.

Comment avez-vous découvert le monde des cryptos et comment vous êtes-vous retrouvé dans l’aventure des CryptoMondays Paris?

En 2014, je recherchais un travail en finance de marché à New York où je vivais. La compétition pour accéder à ces postes était extrêmement difficile, surtout avec un diplôme français peu connu de Wall Street. Afin de maximiser mes chances d’obtenir un emploi et ainsi pouvoir rester sur le territoire américain faute de visa, j’ai fini par postuler dans des secteurs alternatifs et j’ai trouvé une annonce sur Craigslist pour être trader assurant la liquidité en bitcoin du Bitcoin Center of New York City à Wall Street. L’entretien s’était très bien passé, mais mes interlocuteurs ont voulu me rémunérer en bitcoin, chose que j’ai tout naturellement refusé à l’époque par manque de compréhension de ce qu’était et allait être bitcoin. J’ai fini à la Société Générale sur Park Avenue, sur un desk de trading de matières premières. Intrigué par ce fameux entretien, j’ai fini par creuser le sujet. Je suis donc entré dans un secteur qui est devenu une passion par pur hasard.

CryptoMondays Paris est une initiative lancée à New York par Lou Kerner. Nous avons décidé de lancer l’antenne française de l’événement avec Michael Amar de Chain Accelerator, Charlie Méraud, Karim Sabba et Alexandre Martzloff de Woorton et de l’AFGC, ainsi que Jeremy Simah et Elie Ohayon de Datalents. Notre objectif a été de rassembler la communauté crypto lors d’évènements conviviaux en faisant toujours en sorte de faire intervenir des speakers de grande qualité. Nous sommes aujourd’hui un peu dépassés par le nombre d’inscrits à chaque événement ce que je considère comme un beau succès. Nous travaillons également avec la même équipe et de nouveaux partenaires à un second projet de plus grande envergure dont vous entendrez certainement parler dans les prochaines semaines.

Il y a en ce moment une volonté du gouvernement français de définir un cadre juridique pour les entreprises de la blockchain. Est-ce que les choses vont dans le bon sens selon vous?

Il y a en effet une volonté politique de définir un cadre juridique visant à favoriser le développement de l’écosystème crypto/blockchain sur le territoire national. Je pense que les choses vont dans le bon sens au vu de la situation précédente, du changement de posture politique qu’il y a eu mais également au vu de la collaboration qu’ont les différents pouvoirs publics entre eux. En effet, il est important de noter que Bruno le Maire a été et est encore le moteur de ce mouvement en coordination avec différents députés de la majorité ou non, tels que Pierre Person, Laure de la Raudière et Eric Bothorel ou encore avec l’AMF dont la compréhension de l’écosystème par rapport à d’autres régulateurs n’est plus à rappeler. Un travail remarquable a été effectué mais il est loin d’être terminé et nous espérons pouvoir continuer à avancer dans le bon sens.

Vous êtes porte-parole de l’AFGC, que pouvez-vous nous dire au nom de cette association?

L’AFGC a été force de proposition sur de nombreux sujets telles que la réglementation des prestataires de service en crypto-actifs ou encore la fiscalité sur laquelle notre commission travaille encore d’arrache-pied. Beaucoup de nos propositions ont pu être reprises grâce au travail de qualité qui a été produit. Nous avons eu à cœur de mélanger des experts et entrepreneurs du secteur des crypto-actifs à des experts en réglementation, avocats fiscaliste, juristes spécialisés, comptables, responsables de banque ou de fonds d’investissement.

Notre mission est néanmoins loin d’être terminée car il reste de nombreux sujets à résoudre afin de devenir réellement attractif et moteur européen (comptabilité, conservation pour les fonds d’investissement, définition précise du cadre pour les prestataires, standard de lutte anti-blanchiment etc). L’AFGC est aujourd’hui la plus grosse association structurée d’Europe sur le sujet des crypto-actifs et de la blockchain et elle restera mobilisée avec l’aide de ses nombreux membres à l’élaboration du nouveau cadre français à venir, puis européen.

Le grand public est encore peu concerné par les cryptomonnaies. Qu’est-ce qu’il faudrait pour que ça change et dans combien de temps pensez-vous que l’on va assister à une adoption de masse des cryptomonnaies?

Je pense que l’adoption de masse n’est pas pour tout de suite pour plusieurs raisons.

La première est la capacité limitée des blockchains publiques actuelles à assurer un niveau élevé de transactions tout en restant décentralisées. Il existe en effet un trade-off entre décentralisation et scalabilité (je n’évoque pas les blockchains privées, puisqu’elles n’ont pas d’intérêt particulier de par leur centralisation et donc la confiance limitée qui peut être accordé au réseau si ce n’est l’optimisation de base de données de manière exponentielle).

La seconde est la capacité limitée des blockchains à transférer de la donnée entre elles (monétaire ou autre), on parle ici « d’interopérabilité ». Nous sommes aujourd’hui dans un univers ou chaque crypto-actif a un usage particulier. Le passage de l’un à l’autre se fait encore difficilement et avec des frottements rendant la solution peu attractive pour le moment.

La dernière est la complexité de l’utilisation de cette technologie et des actifs numériques sous-jacents. Très peu de personnes savent aujourd’hui comment fonctionne exactement le protocole TCP/IP, IMAP ou SMTP. Pourtant tout le monde utilise Internet et les emails car c’est très simple et user friendly. Aujourd’hui seules les personnes ayant une compréhension de cet écosystème utilisent les crypto-actifs de manière avertie, mais cela changera à l’avenir avec des interfaces plus simples et ne nécessitant pas de comprendre le protocole dans son intégralité pour l’utiliser.

Suite à ces trois points, je tiens tout de même à mentionner que le sujet de la scalabilité est adressé en ce moment par des développeurs travaillant sur le lightning network, les side chains ou les nouveaux algorithmes de consensus tel que le proof of stake, de même sur le sujet de l’interopérabilité avec des solutions encore complexes telles que les atomic swap, qui se démocratiseront à mon sens. Enfin, le passage à des interfaces simples et user friendly se fait de manière constante et je pense que l’intérêt que porte la finance traditionnelle à ces crypto-actifs en accéléra la marche.

Vous définissez Woorton comme le « premier broker-dealer & marker-maker français en crypto-actifs ». Pouvez-vous nous en expliquer le fonctionnement de façon simple?

Woorton fournit de la liquidité à des plateformes d’échange de cryptos dans le monde, des brokers, des sociétés de gestion, des banques privées, des family offices, certains ultra high net worth, ainsi que des émetteurs de jetons. Ces différents intervenants ne sont pas en mesure de connaitre un prix à l’avance pour leurs clients, ni de traiter sans avoir déposé des euros, dollars ou cryptos sur une plateforme souvent peu ou pas assez liquide, et sujette à de nombreux hacks.

De manière simple, tous nos clients peuvent acheter ou vendre des crypto-actifs à Woorton à tout moment sur tout type de volume et contre de l’euro, du dollar, du yen ou d’autres devises. Nous effectuons le règlement livraison après avoir conclu la transaction. Nous réduisons ainsi la nécessité de cash management de nos clients qui ne préfund pas leur compte, nous réduisons également le risque de contrepartie puisque nos contreparties ne sont exposées à Woorton que le temps de la livraison. Enfin nous n’avons aucun frais de trading et une liquidité très élevée permettant d’absorber des transactions à plusieurs millions d’euros sans détérioration du prix, comme cela est le cas pour ce type de volume sur les plateformes d’échanges.

Est-ce que les technologies blockchain, IA, IoT etc. vont faire émerger des entrepreneurs plus jeunes?

Oui, ces nouvelles technologies font d’ores et déjà émerger des entrepreneurs plus jeunes mais cela n’est pas un phénomène nouveau. En effet ce phénomène était également existant lors du développement de l’infrastructure internet puis des applications qui s’y sont greffés, telles que Facebook ou Google. Je pense que cela s’explique par la prise de risque plus importante que les jeunes sont prêts à prendre en s’engageant dans des technologies non abouties mais en devenir. Par ailleurs je suppose que les jeunes populations sont bien plus sensibles aux nouvelles technologies du fait de l’immersion de celles-ci très tôt dans nos sociétés.

Quelles seront selon vous les premières solutions que la blockchain va apporter?

Ce qui m’intéresse dans Bitcoin et d’autres cryptomonnaies n’est pas la Blockchain qui existait déjà auparavant et qui en effet est une solution d’optimisation exponentielle des bases de données, mais plutôt l’innovation de rupture que Bitcoin et certaines « blockchains publiques » apportent.

Bitcoin est un assemblage ingénieux de plusieurs technologies que sont blockchain, réseau pair à pair, cryptographie asymétrique et minage par preuve de travail. Le premier use case de cette innovation concerne la monnaie. Comme le disent si clairement Gonzague Grandval et Yorick de Mombynes dans leur Rapport Bitcoin, totem & tabou pour l’Institut Sapiens, « Bitcoin est le premier système monétaire autonome et résistant à la censure, complémentaire aux systèmes existants, fondé sur les mathématiques et la transparence. ».

Ce système fonctionne sans arrêt sans comparable de sécurité depuis presque 10 ans et cela à une échelle mondiale. Il se développe malgré toutes les critiques ou tentatives de marginalisation et de criminalisation que de nombreuses incompréhensions ou monopoles ont pu tenter, si bien qu’aujourd’hui on voit les unités de compte que sont les bitcoins intéresser de nombreux fonds d’investissements, banques et prochainement banques centrales avant-gardistes.

En début d’année, vous avez fait partie du classement européen 30 Under 30 du magazine Forbes. Est-ce que c’est important ce genre de distinction pour vous?

J’ai été honoré d’être nominé avec mes associés Charlie Meraud et Karim Sabba dans ce classement aux côtés de personnes que j’admire et qui sont des exemples de succès. Je pense néanmoins que cette distinction ne doit pas avoir une grande importance dans notre quotidien car nous n’en sommes qu’au premier chapitre de notre aventure entrepreneuriale et nous avons de nombreux projets encore à réaliser. Par le sérieux du magazine et l’audience de 150 millions de lecteurs, cette distinction est toutefois une belle récompense pour tous les membres de l’AFGC qui ont participé et participent aujourd’hui encore farouchement à la compréhension et au développement du secteur des crypto-actifs. C’est également une belle récompense pour les actionnaires de Woorton et un gage de qualité qui est apporté à notre marque et qui nous permet d’être reconnu auprès de nos clients, notamment aux États-Unis ou en Asie, où le déploiement de notre desk de trading a été facilité.

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