Et si le futur de la blockchain était en Afrique?

| 7 min read

Photo: iStock / kontekbrothers

Et si la technologie qui remet en question les processus organisationnels de grandes entreprises de toute l’Europe, devait trouver ses plus belles réussites en Afrique? Cette idée semble quelque peu choquante pour beaucoup de spécialistes. Pourtant je suis profondément convaincu que cette question mérite d’être posée.

J’ai été amené cette année à effectuer un enseignement au sein du programme Europe-Afrique de Sciences Po avec le jeune économiste Benedikt Barthelmess sur l’innovation en Afrique. Étant donné l’actualité brûlante de la blockchain et les étudiants me demandant de partager mes connaissances sur ce sujet, j’ai fait le choix de concentrer mes exemples principalement sur cette technologie.

La blockchain est trop souvent considérée comme un sujet hermétique, mystérieux et réservé aux seuls spécialistes

Les étudiants qui suivaient ce cours étaient d’un bon niveau de culture générale, un tiers était des enfants d’une élite africaine très éduquée et de manière générale, ils avaient un niveau en économie suffisant pour pouvoir appréhender les applications concrètes de la blockchain en Afrique. Ce fut l’occasion de constater plusieurs faits très étonnants :

  1. Pour un public, ayant un accès très privilégié à la connaissance, la blockchain reste quelque chose d ‘extrêmement mystérieux et jugé comme très technique
  2. L’Afrique est encore souvent considérée (même par un public jeune et majoritairement africain) comme une terre de « développement » et non d’ « industries », d’innovations techniques et scientifiques.
  3. L’Afrique serait seulement apte à « adapter » les technologies innovantes des « anciens pays colonisateurs » et pourrait compter sur ses légions de travailleurs non qualifiés principalement pour le minage…

Ces constations sont un matériau de réflexion extrêmement intéressant pour mesurer la façon dont sont envisagés les rapports entre innovation et Afrique par des jeunes qui seront positionnés dans un avenir assez proche à des postes de décideurs…

Cet article est l’occasion de prendre le recul nécessaire pour approcher sérieusement cette problématique. Reprenons chacun des éléments et tentons justement de montrer non pas seulement que le futur de la blockchain est en Afrique mais que l’Afrique pourrait bel et bien être le futur de la blockchain…

Lire aussi du même auteur: La blockchain, un sujet enseigné depuis 2010.

 

La blockchain est effectivement un sujet complexe mais beaucoup de spécialistes exagèrent cet aspect dans une logique de pré carré

Il y a quelques jours j’intervenais à la Commission européenne sur le Cyber et ses enjeux en termes d’innovations duales dans le cadre du CESE. Évidemment les personnes connaissant bien le sujet ont tous fait le lien avec la blockchain et pour cause la discussion après la conférence s’est reportée sur le sujet de la blockchain. Pourquoi ? Parce que la blockchain comme le Cyber sont des sujets d’actualité qui interrogent par leur supposée complexité. C’est une logique de pré carré. Comme le résume bien Teddy Elsak, un spécialiste de la blockchain et des crypto-actifs basé à Paris: « Il y a un jeu au niveau Français et au niveau européen de plus en plus flagrant concernant la façon dont les « techies » vont parler de la Blockchain. En gros ça se résume à : « certains savent, les autres ne pourront jamais vraiment comprendre ». L’idée c’est de créer un sentiment de dépendance technique alors que j’ai des amis de l’école 42 qui ont appris à programmer des blockchains en quelques mois. Je ne dis pas qu’il ne faut pas de compétences techniques. La comparaison vaut ce qu’elle vaut mais rappelons que Zuckerberg était seulement en 1ère année de licence à Harvard quand il a conceptualisé Facebook… »

« Les Africains n’ont pas les compétences techniques suffisantes »… bien au contraire…

Plusieurs pays en Afrique ont bel et bien les moyens d’être des concurrents féroces dans la compétition mondiale des pays en ce qui concerne la technologie blockchain. Le but n’est pas de jouer l’africanophile en défendant des éléments qui n’existeraient pas… Prenons donc des éléments concrets et aisément vérifiables par les lecteurs. Prenons des établissements français prestigieux qui ont des programmes de recherche très performants sur la blockchain: Télécom Paris Tech et l’École Normale Supérieure Paris Saclay. Comparons maintenant leurs classements internationaux avec des universités d’un pays africain remarquable en matière de recherche et innovation technologique, l’Afrique du Sud. Selon le dernier QS World University Ranking, Télécom ParisTech est classée 224ème université mondiale et l’ENS Paris Saclay est 312ème. Les lecteurs imagineront probablement que les universités d’Afrique du Sud sont probablement très en dessous dans ce classement… Or rien n’est moins sûr. L’université de Cape Town par exemple est classée au dessus de l’ENS Paris Saclay, mais aussi de Télécom ParisTech. En effet elle est 198ème. Comme l’explique très bien le spécialiste en économie du développement Benedikt Barthelmess: « Le potentiel de l’Afrique en matière de connaissance et de technicité est incroyablement sous-estimé. Certes l’Afrique du Sud est un exemple généralement jugé quelque peu différent car c’est un moteur régional. Ce n’est pas pour rien qu’elle correspond à la dernière lettre (le « S ») auxquels les économistes tiennent tant dans le célèbre acronyme « BRICS ». Néanmoins les spécialistes considèrent de plus en plus que l’Afrique du Sud n’est pas seulement un moteur mais plutôt une vitrine. Il y a des poches de compétitivités en Afrique largement méconnues par les européens et c’est bien dommage. Cela donne l’idée que l’Afrique est un continent englué dans la fameuse « théorie de la dépendance » quand elle a sensiblement des moyens réels de développement économique notamment en matière de produits et process de ruptures comme avec la blockchain ».

L’Afrique ne serait à même que d’ « adapter » des technologies développées dans d’autres pays…

Étant régulièrement entre Zurich et Zug et bien qu’étant donc à des milliers de kilomètres de l’Afrique, il m’aurait été difficile de ne pas entendre parler de la start-up 9needs. Cette petite entreprise travaille main dans la main avec l’UNICEF depuis plus d’un an pour développer des services pour la petite enfance avec une blockchain très performante et une application aisée d’usage de type DApp. Cette start-up réunit des jeunes Africains dont les compétences techniques ne sont plus à démontrer… Avec un siège social en Afrique du Sud, cette start-up sert pourtant de modèle d’inspiration à d’autres potentielles start-ups européennes (et non le contraire). On constate en effet que non seulement la technologie est extrêmement bien maitrisée mais également qu’en ce qui concerne les applications, cette start-up a clairement une longueur d’avance sur des entreprises européennes.

Cet article aura été l’occasion d’interroger la préconception selon laquelle l’Afrique ne pourrait pas structurellement être au cœur de la course en matières de développement et d’innovation pour la technologie Blockchain. Bien entendu les immenses avancées actuelles dans ce champs d’innovation technologique et processuelle ne permettent pas de savoir avec exactitude quelle sera la géographie précise des zones d’influence et de pouvoir pour cette technologie de rupture. C’est peut-être justement une opportunité… Celle de nous passionner avec le même intérêt pour le développement de cette technologie en Europe et en Afrique. C’est bien tout le sens de ce que nous rappelle l’économiste Benedikt Barthelmess: « La blockchain en Afrique… Moi j’y crois…mais surtout ça se voit ! ».

Pour suivre le blog de Jean Langlois-Berthelot.
Pour avoir plus d’information sur le cours Innovation Eldorado? Innovation and economic development in Africa.

Ce texte est signé par Jean Langlois-Berthelot, enseignant à Sciences Po et ne reflète pas nécessairement l’opinion de Cryptonews.