Industrie des tech : où sont les femmes?

Isabelle Mercier
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Photo: iStock/metamorworks

C’est le 29 novembre prochain que se dérouleront en France les « Sciences de l’ingénieur (SI) au féminin ». Il s’agit d’un évènement déployé dans de nombreux collèges et lycées, et dont l’objectif est de sensibiliser les jeunes femmes aux carrières scientifiques et technologiques. Le fait que les femmes soient sous-représentées dans le domaine des tech n’est une surprise pour personne, et selon le dernier rapport Coindesk, la communauté crypto ne contiendrait pour sa part que 4% de femmes. Pourquoi les choses sont encore ainsi en 2018 ? Comment faire pour rééquilibrer ce rapport de proportion ?

Pour Carole Malbrancq, membre du collectif WHAT06 et impliquée dans de multiples évènements mettant en valeur les femmes, « Je pense que les jeunes filles ne pensent pas à devenir développeuses ou à bosser dans l’intelligence artificielle car elle ne voient pas assez de femmes dans ce domaine d’expertise. En donnant de la visibilité aux femmes qui travaillent dans le domaine des nouvelles technologies, elle deviennent des « role models » et permettent aux jeunes filles de se projeter dans ce type de métier et d’ainsi réduire cet écart hommes/femmes dans les tech ». Elle ajoute, « Prendre sa place, c’est s’entraider et partager ses connaissances pour monter en compétence. Je ne dis pas que c’est facile, mais cela passe par des actions ». Carole donne vraiment du sens à ses paroles en faisant partie de cette initiative SI au féminin, puisqu’elle s’est inscrite pour y présenter son job d’ingénieure en nanotechnologie.

Photo: Collectif WHAT06 lors du dernier Hackathon

Pour Martin Lalonde, président de Fonds Rivemont Crypto, une partie du problème repose sur un biais culturel. Il raconte, « J’ai offert un camp de coding à mes deux filles mais elles ont refusé, elles sont super bonnes en mathématiques car je leur mets la pression et je leur dis que les maths c’est important et que c’est la base de la réflexion, mais le biais culturel existe tout de même ».

Biais ou intérêt ? Le célèbre YouTuber Owen Simonin, aka Hasheur, nous a partagé les statistiques démographiques de sa chaîne portant sur les investissements, la blockchain, et les nouvelles technologies. Ces dernières, comptabilisées sur trois millions de vues, démontrent un minuscule pourcentage d’audience féminine évalué à 0,7% dans le groupe des 13-17 ans, et 2,7% dans le groupe des 18-24 ans. Faudra-t-il attendre encore une génération de plus avant de voir ces chiffres augmenter ?

Afin de rétablir un équilibre en ce qui concerne le nombre de femmes dans l’univers des tech, Séverine Glock, ingénieure de formation et aujourd’hui architecte logiciel chez Software Labs Groupe Renault, pense « qu’il faut initier de manière simple les enfants depuis leur plus jeune âge à la programmation. Cela leur permettrait de lever toute appréhension envers les technologies et d’évoluer avec elles tout au long de leur scolarité. En ayant des professeurs ou intervenants qui soient des femmes qui enseignent ces matières, les jeunes filles pourraient s’identifier à elles ».

Photo: Membres du Collectif WHAT06 et du Collectif BlockFest

Séverine est affirmative sur le fait que selon elle, l’apprentissage de la technologie blockchain et des cryptomonnaies devrait être une matière prévue au sein du cursus scolaire, «Cela devrait être fait en études supérieures pour former les nombreux développeurs qui manquent actuellement sur ces technologies. L’enseignement pourrait aussi être proposé au collège ou au lycée, sous forme de mini projet informatique». Enfin, elle insiste sur le fait que « les tech ne peuvent pas se construire sans la présence de tous, minorités ou non. Ceci est la clé pour l’avenir ».

Son opinion est partagée par du président de la République, Emmanuel Macron, qui lançait récemment un appel à tous afin de se mobiliser pour casser les choix d’éducation effectués en fonction des origines sociales et du genre.

Sur le sujet de l’éducation, l’avis de Carole Malbrancq va dans le même sens que celui de Séverine, à savoir qu’elle pense aussi « qu’il devrait y avoir des options informatiques au collège et au lycée, car les jeunes maitrisent de plus en plus les langages informatiques. Mon neveu de 14 ans créé déjà des sites internet en se formant seul par le visionnement de vidéos sur YouTube ».

Séverine et Carole nous confient toutes deux n’avoir eu aucun modèle féminin ayant pu les influencer ou les inspirer. Carole ajoute qu’elle aurait cependant aimé avoir un tel modèle. « Des programmes de mentoring entre des femmes expérimentées et les jeunes embauchées dans le même domaine devraient être mis en place pour permettre à ces dernières d’avancer plus rapidement dans leurs carrières ».

Concernant l’industrie plus spécifique des cryptos, Philippe Jetté, chroniqueur pour Cryptonews s’exprime sur le sujet, « Ce qui m’apparait important est d’ouvrir les portes au maximum afin de permettre l’égalité des opportunités pour les femmes qui désirent intégrer l’industrie des cryptomonnaies. Celle-ci étant plus jeune et moins ancrée dans les vieux modèles que celle de la finance traditionnelle, elle représente à la fois une opportunité et un tremplin pour les femmes passionnées par les technologies émergentes ».

Françoise Gadot, alias Mamie Crypto, fondatrice du mouvement et du groupe Telegram @LesHackeuses, explique pour sa part que « le très faible pourcentage de femmes dans ce secteur est multifactoriel tout en reposant uniquement sur des paramètres culturels. Pour faire évoluer la situation, il me semble indispensable de travailler à différents niveaux, à la fois sur le conditionnement en ce qui concerne des rôles sociaux inculqués plus ou moins inconsciemment aux filles et aux garçons, et à la fois sur l’absence d’image féminine dans l’écosystème de la technologie blockchain et des cryptos. Pour attirer davantage de femmes, il est nécessaire de communiquer, de montrer des figures féminines reconnues dans cette industrie, et de former les femmes et les hommes tout en ayant une attention particulière pour arriver à une mixité et une parité ».

Ce mouvement d’éducation auprès des plus jeunes pourrait déjà être en branle. En effet, selon les propos de Lily, enseignante en informatique auprès d’étudiants ayant 16 ans, « Nous tentons d’effacer cette idée selon laquelle ce ne sont que les garçons qui s’intéressent à l’informatique, et selon laquelle l’informatique se réduit à ouvrir un ordinateur pour y changer une pièce. C’est un programme qui représente bien plus que cela, et dans lequel se sont inscrites des jeunes filles très intelligentes qui pensent que l’informatique va leur servir, même si la plupart ne se dirigeront pas directement en informatique par la suite. Elles savent qu’elles auront besoin de ces notions, peu importe le métier qu’elles choisiront, et qu’elles pourront s’occuper elles-mêmes de leurs besoins en informatique avec ces connaissances et ce diplôme ».

Photo: Lily, Enseignante en informatique et ambassadrice SmartCash

La question des « role models » féminins revient ici encore une fois. Lily nous explique, « Avec une autre enseignante, on fait la tournée des classes l’année qui précède alors que les élèves ont 15 ans, pour faire la promotion du programme en informatique, et plusieurs jeunes filles se rendent alors compte que l’informatique ne se résume pas à ce qu’elles pensaient que c’était. Le sujet les stimule et le fait de voir des modèles féminins leur en parler les encourage à s’inscrire à ce programme ».

Les efforts portent leurs fruits ; la classe de Lily comptait 5 jeunes filles l’année dernière, et en compte cette année 17 sur un total de 60. Cette augmentation drastique et ce constat sont de très bons signes pour le futur. En effet, on peut en déduire ou s’imaginer que d’ici quelques années, le ratio de 4% de femmes au sein du milieu crypto qui ressort du sondage de Coindesk pourrait augmenter à 15% ou 30%, voire même à 50% sur le long terme.

L’avenir nous le dira.

Mais avant d’atteindre ces chiffres, il faudra d’abord que la société fasse abstraction de ses perceptions selon lesquelles certains emplois sont considérés comme « typiquement masculin ». Selon une étude récente, une femme qui postule à un emploi habituellement occupé par un homme, a 22% moins de chances que ce dernier de se voir proposer un entretien d’embauche… Comme le commente Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, « Ce sont des chiffres énormes ! En encore, c’est la partie émergée de l’iceberg, car nous n’avons pas testé ce qui se passerait ensuite, pendant l’entretien d’embauche ! ».

Heureusement, des initiatives comme SI au féminin, Women Hack, ou encore les ateliers « Initiation à la blockchain » destinés aux femmes, constituent toutes d’excellentes contributions au rééquilibrage des genres dans le milieu des tech. Ainsi, de plus en plus de femmes intègrent des postes historiquement masculins.

Combien de temps encore faudra-t-il avant que la gente féminine ne s’empare de multiples hautes fonctions au sein des technologies émergentes? Nul ne le sait, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le machisme est encore très présent dans le milieu.