Interview exclusive avec le PDG de Bakkt, Gavin Michael

Gary McFarlane
| 17 min read

Au cours d’une interview exclusive pour Cryptonews, le PDG de Bakkt Holdings, Gavin Michael, a critiqué les dommages causés par FTX et a affirmé qu’il revenait désormais à l’industrie de reconstruire la confiance. Il pense que Bakkt, hautement réglementé, sera l’un des gagnants de l’hiver crypto.

Bakkt est l’une des rares sociétés de crypto cotées en bourse aux États-Unis. Michael y officie en tant que PDG et président depuis janvier 2021.

Propriété d’Intercontinental Exchange (ICE), Bakkt a probablement une réputation inégalée parmi les entreprises de crypto. ICE est également propriétaire de la Bourse de New York.

C’est cela qui place Bakkt en très haute estime, dans le contexte de l’effondrement de FTX. De plus, des révélations ne cessent d’émerger quant à l’absence de contrôles et de systèmes de base déployés dans la gestion de l’exchange, qui est désormais en faillite.

En fait, indirectement, l’échec de FTX pourrait profiter à Bakkt. En effet, cela signifie que les démarches menées par Sam Bankman-Fried, PDG de FTX, pour bouleverser la manière dont le trading de futures est mené, sont tombées à l’eau. Et ces démarches menaçaient le rôle des intermédiaires, tels que ICE.

Cependant, Bakkt n’a pas échappé à l’impact de la baisse de la valorisation des actions crypto.

Selon Bloomberg, la valeur des actions Bakkt détenues par ICE a connu une baisse considérable, de 1,5 milliard de dollars à 400 millions de dollars. L’action Bakkt est en baisse de plus de 80 % depuis le début de l’année.

Bakkt sera l’un des survivants de la crypto

La mission de Bakkt est de connecter l’économie numérique. Pour ce faire, l’entreprise a notamment annoncé, au début du mois de novembre, sa volonté d’acquérir Apex Crypto pour 200 millions de dollars en espèces et en actions.

L’acquisition ne devrait pas être finalisée avant 2023, mais cet exemple de consolidation de l’industrie laisse présager que Bakkt a de fortes chances d’être l’un des survivants de l’hiver crypto, pas l’une de ses victimes.

Avec ses services de garde, de paiement et ses programmes de fidélité, Bakkt est en quelque sorte un pionnier dans la cryptosphère. Si l’on ajoute à cela son approche favorable à la réglementation, il semble que l’entreprise ait toutes les cartes en main pour la reprise. 

De plus, l’acquisition d’Apex Crypto, entreprise spécialisée dans la mise en place de systèmes cryptographiques pour les fintechs et autres institutions financières, semble être un geste intelligent de la part de Bakkt. Et ce, même s’il y a très peu de chances qu’implémenter des fonctionnalités cryptos soit la priorité absolue des fintechs sur le court terme, suite à l’affaire FTX.

Comme vous pouvez l’imaginer, Michael pense que la crypto a de l’avenir et que les technologies que ce secteur offre sont robustes, même si certains acteurs du marché, eux, ne le sont pas.

La clé est d’établir la confiance, affirme Michael dans l’interview que vous pouvez consulter ci-dessous.

Comment imaginez-vous l’environnement réglementaire américain, voire mondial, après FTX ?

Très bonne question. Je pense qu’il est assez évident que tout ce qui s’est passé récemment met en évidence la nécessité d’une meilleure surveillance des plateformes axées sur le détail.

Les contrôles, les politiques et les procédures concernant les fonds des clients sont autant de facteurs qui doivent changer.

Et cela implique notamment plus de transparence, afin que l’on puisse savoir ce qu’une entreprise fait avec les fonds qu’elle reçoit ! Je pense que nous allons assister à cette évolution, et c’est quelque chose qui nous met tous d’accord.

Un avenir avec plus de réglementation est une excellente chose, à la fois pour le marché et les consommateurs.

Je pense que la clarté réglementaire est une chose dont le marché a besoin afin qu’une adoption plus généralisée de l’infrastructure crypto puisse avoir lieu.

Je pense que cela servira donc de catalyseur pour y arriver, et c’est une très bonne chose.

Comme vous le savez peut-être, Bakkt a été fondé par l’Intercontinental Exchange. Cela signifie que, dès le départ, notre approche était plus mature, en mettant l’accent sur la réglementation et la conformité.

Je pense que l’une des choses qui doit changer, c’est de s’assurer qu’un cadre réglementaire se développe. Peu importe s’il s’agit d’une agence ou de plusieurs. Ce qui compte, c’est de s’assurer de comprendre le rôle de chaque agence dans la surveillance.

Et, pour le cas des États-Unis, cela implique de s’assurer de comprendre comment les divulgations fonctionnent, comment tout cela fonctionne dans un environnement avec un maximum de confiance et de transparence. Tout cela afin de permettre une découverte équitable du marché, une transparence équitable des prix et un maximum de clarté.

Il est également important que les rôles et les fonctions soient bien séparés. Par exemple, nous sommes un dépositaire réglementé, géré comme une fiducie. Nous sommes séparés de domaines tels que l’exécution de trades. Ainsi, nous n’avons aucun conflit d’intérêt entre ces fonctions.

Nous traitons les fonds de nos clients comme leurs fonds. Il n’est pas question de prêt, d’effet de levier ou de quoi que ce soit de cela.

Nous ne prenons pas en charge les investissements d’entreprises via les fonds dont nous disposons. Il existe des frontières fermes entre nos différentes activités. C’est ce niveau de transparence qui sera essentiel pour l’ensemble de l’industrie à l’avenir.

Nous avons créé notre entreprise en nous appuyant sur des principes directeurs : mesures de conformité, contrôles, gestion rigoureuse des risques. Nous voulons nous assurer que cette clarté réglementaire s’applique à tous.

Pensez-vous que nous sommes actuellement à un point d’inflexion, de la même manière que l’éclatement de la bulle Internet en 2000 ? Dans ce cas, les plus forts survivront, et, avec un peu de chance, cela permettra d’éliminer les acteurs plus faibles et les mauvais acteurs du paysage. 

C’est une bonne analogie, je trouve. Je veux dire que le marché rencontre actuellement beaucoup de problèmes, mais tout cela est dû à un manque de contrôles et à des risques inappropriés, pas à la technologie en elle-même. Le Bitcoin et les crypto-monnaies sont toujours de jeunes actifs.

Et à bien des niveaux, les échecs que nous avons pu constater ont en réalité démontré que la technologie fonctionne. Les blockchains ont laissé une piste d’audit dont les régulateurs pourront se servir. 

Au-delà de la perturbation actuelle, nous sommes convaincus que le ralentissement économique offrira des opportunités à des entreprises comme la nôtre de prendre des décisions stratégiques sur cette base.

Pour assurer un avenir radieux, nous devons songer à éliminer les mauvais acteurs.

Cette situation ne témoigne pas d’un échec de la technologie. La technologie a fait ce qu’elle avait à faire. Mais ce n’est pas parce que ces actifs sont décentralisés qu’ils sont immunisés face aux risques de contrepartie, de contagion ou face à n’importe quel challenge plus important que l’on peut rencontrer dans un marché centralisé. 

Voyez-vous quelque chose de culturel dans la façon dont l’industrie s’est développée ? Je pense ici à l’approche des sociétés de capital-risque par rapport à leurs investissements cibles. 

Pourquoi ces sociétés de capital-risque ne sont-elles pas allées aux Bahamas en premier lieu, afin de parler à l’équipe, voir comment elle travaille. C’est ce que  ferait un fonds commun avant d’investir dans une entreprise : aller à l’usine, voir comment elle fonctionne véritablement. Peut-être que l’on fait trop confiance aux gens, tout simplement.

Alors oui, tout le monde doit faire son travail en amont. Je pense également qu’il est important qu’il y ait un certain niveau de contrôle. De notre côté, nous faisons en sorte que la non-divulgation soit toujours totalement transparente.

Nous répondons constamment aux questions concernant nos politiques et nos procédures. Et nous appliquons le même niveau de sérieux lorsqu’il s’agit de mettre en place des partenariats. Donc oui, on s’attend à ce que tout le monde dans le secteur respecte ces règles. Ce qui est surprenant, c’est que ce n’était pas le cas jusqu’à présent.

C’est vrai. Et qu’en est-il des autres secteurs de la crypto ?

Nous avions l’impression que FTX était stable, solide. Qu’en est-il des stablecoins ? Si un dé-peg se produit sur un stablecoin majeur, cela représentera plutôt une zone de force ou une zone de risque immense pour l’industrie ? Voyez-vous ce genre de menaces se produire à l’avenir ?

À vrai dire, ils sont devenus très populaires au cours des dernières années, mais il existe plusieurs types de stablecoins. Globalement, ceux-ci ont eu un impact positif, surtout ceux qui sont les plus utilisés.

Et il s’agit définitivement d’une façon très pratique d’échanger de la valeur sur une blockchain. On a notamment pu le constater avec un stablecoin très populaire émis par Circle, qui a un ratio de 1-pour-1 dollar américain sur le compte bancaire.

Bien sûr, il y a un risque, et celui-ci repose sur la qualité de réserve d’un stablecoin. Nous avons vu à quel point les choses peuvent se dégrader rapidement si la réserve n’est pas suffisante et que les gens utilisent des effets de levier sur l’actif sans que la garantie sous-jacente soit disponible.

Encore une fois, je pense qu’il est important d’avoir un bon niveau de régulation. Pour y parvenir, il faut la confirmation que chaque jeton est soutenu par un dollar. C’est un point essentiel.

Je pense que les stablecoins sont un atout, puisqu’ils apportent de la valeur et une réelle utilité. Il faut juste s’assurer qu’ils sont utilisés pour les bonnes raisons, et qu’ils apportent, par conséquent, la bonne valeur au marché. C’est lorsque l’on voit émerger des environnements avec de forts effets de levier que des problèmes surgissent.

Avec tout ce que vous venez de dire, j’ai l’impression qu’entre Tether et l’USDC de Circle, Tether n’est peut-être pas le plus solide des deux actifs.

Tether a été réticent à l’idée de faire un audit complet. Cela dure depuis des années maintenant. Et, dans le contexte actuel, j’imagine que les gens peuvent être nerveux quant au fait que l’entreprise soit réfractaire à cet audit. Est-ce un problème pour l’industrie ? La manière dont ils gèrent leur entreprise semble vraiment douteuse. Cela devrait être dans l’intérêt de Tether de faire un audit, non ?

Évidemment, mais c’est aux émetteurs de s’en charger. Lorsque l’on adopte une vision d’ensemble, tout mène à la transparence et à la divulgation. Parce qu’ici, chez Bakkt, nous avons toujours adopté une approche très conforme. Cela nous a menés à être intransigeants en ce qui concerne les divulgations, les politiques et les procédures que nous suivons. 

Nous sommes réglementés au plus haut niveau possible. Et, au fur et à mesure que le cadre réglementaire évoluera, nous suivrons toujours la voie de la conformité, que ce soit par le biais de l’approche étatique ou fédérale.

Par exemple, nous avons conclu des accords de licence avec 50 états, mais lorsque nous verrons plus de réglementations provenant d’agences fédérales, nous les accepterons avec plaisir. 

Vitalik Buterin parlait récemment de l’affaire FTX et il a constaté que les protocoles DeFi avaient bien tenu le coup. Ils ont fonctionné comme ils le devaient. Que pensez-vous de la DeFi ? Quel est le ratio risque/opportunité ici ?

Je sais que vous n’êtes probablement pas directement impliqués dans la DeFi, mais voyez-vous la DeFi comme une réussite du secteur de la crypto ? Cela a peut-être permis de montrer que l’innovation financière basée sur la crypto fonctionne, mais des faiblesses subsistent, notamment au niveau de la garde de certains jetons.

Lorsque l’on regarde cela d’un point de vue technique, il est vrai qu’il existe encore quelques problèmes techniques qui font que la DeFi a peu de chances d’évoluer comme nous aimerions qu’elle évolue. 

Néanmoins, il s’agit d’un domaine dans lequel la réglementation pourrait nuire à l’expansion. Les régulateurs ont été assez clairs là-dessus : ils envisagent de poursuivre les projets DeFi pour non-conformité.

Vient ensuite la facilité d’utilisation. La DeFi et les DEX sont derrière les CEX à ce niveau. Malgré tous les problèmes de confiance qui émergent ces derniers temps, l’avantage des CEX était de permettre de faciliter l’achat et la vente de crypto-monnaies à bien des égards.

Encore une fois, tout est lié à la confiance. En tant qu’industrie, nous devons regagner la confiance des consommateurs. Pour ce qui est de la DeFi, je cherche à voir où les consommateurs pourront profiter d’une bonne expérience, et d’une expérience sûre. Personnellement, je ne pense pas que les DEX soient la solution à ce niveau. 

En clair, la technologie est intéressante mais difficile à utiliser. Difficile, dans ce cas, d’imaginer une adoption généralisée. Cela nous amène à parler de vos produits, je suppose, car vous avez été des pionniers à bien des niveaux, notamment via vos programmes de fidélité.

On en a tous beaucoup parlé au cours des dernières années, et vous avez fait des progrès, comme je peux le voir sur votre site Internet. Le programme Apple a attiré mon attention, tout comme votre travail au niveau des paiements. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le progrès en termes d’adoption pour ces types de produits ? 

Le but de notre entreprise est de connecter l’économie numérique. Pour cela, nous cherchons à fournir la bonne combinaison d’outils et d’expériences, afin de permettre à nos partenaires d’innover dans ce domaine. 

Nous explorons constamment avec nos partenaires crypto. Les paiements, par exemple, sont un domaine naissant dont l’attrait est encore assez limité pour l’instant. Les dépenses en crypto-monnaies ne sont pas nombreuses pour le moment.

Quoi qu’il en soit, nous profitons de cette période pour comprendre ce que nous pourrions introduire afin de contribuer à l’évolution des paiements. Jetez un œil au travail que nous avons réalisé avec le paiement par points, l’échange de récompenses pour acheter des produits, ou encore le fait de pouvoir être payé en crypto-monnaies et recevoir des récompenses en crypto. 

Nous avons débuté avec la proposition de fidélité, puis nous l’avons étendue, de la simple dépense de points à la possibilité de gagner des cryptos grâce à vos achats quotidiens. Ensuite, nous avons utilisé ces nouveaux mécanismes d’acquisition afin d’améliorer les activités de paiement des deux côtés du spectre, car nous pensons également aux commerçants. 

Il est primordial que nous continuions à innover dans ce domaine, et que nous utilisions les rails que nous avons déjà bâtis afin de mettre en place de nouvelles façons d’interagir avec l’économie numérique.

Bakkt fournit une infrastructure au niveau du marché qui est intégrée dans l’environnement de nos partenaires. Ainsi, les consommateurs peuvent interagir avec cette crypto-économie par le biais de leurs marques favorites et des points de vente qu’ils connaissent et auxquels ils font confiance.

Nous avons récemment annoncé l’accord définitif pour l’acquisition d’Apex Crypto, ce qui nous permet d’entrer dans le monde des solutions fintech. Nous avons constaté qu’à certains égards, l’approche d’Apex était très similaire à la nôtre et l’acquisition nous donne plus d’ampleur.

Dans un tout autre secteur, Apex complémente le travail que nous réalisons, mais avec les fintechs ou les plateformes de trading. Le but étant d’apporter de nouvelles possibilités aux organisations financières plus traditionnelles, et de rassembler ces deux univers et ces fonctionnalités pour innover. Cela concerne notamment les expériences transparentes pour les marchands ou l’intégration de programmes de fidélité et de solutions cryptos pour les institutions financières. Grâce à cela, nous commençons à véritablement nous démarquer des autres.

Travaillez-vous avec des leaders du Web3, comme les marketplaces NFT ou les jeux, par exemple ? Fournissez-vous des fonctionnalités de back-office à ces projets émergents ? 

Nous sommes en train d’acquérir une marketplace NFT dans le cadre de l’acquisition d’Apex Crypto. Les marketplaces NFT représentent un moyen simple pour les consommateurs d’accéder à divers services. Via cette acquisition, nous prévoyons d’examiner ce secteur de plus près.

Ce qui différencie l’expérience que nous offrons, c’est qu’il est possible d’acheter et de vendre des choses en utilisant de la monnaie fiduciaire. Nous nous chargeons donc de prendre ce fiat en charge et de le convertir dans la bonne crypto afin que l’achat puisse avoir lieu. Nous simplifions l’expérience en offrant diverses options sur la plateforme et en la rendant accessible sur smartphone. 

Pour ce qui est du gaming et du metaverse, nous surveillons ces secteurs de très près. Nous examinons nos capacités et nous analysons l’utilité du metaverse, ainsi que le moment propice à son expansion. Le timing est très important.

Dernière question, à laquelle vous n’aurez peut-être pas le droit de répondre : à quel prix voyez-vous le Bitcoin et l’Ethereum dans six mois ? 

Notre but est d’apporter l’utilité de la crypto à l’économie. La croissance dépend de la capacité de fournir une utilité, que ce soit au niveau des paiements, de la possibilité d’y accéder ou de la possibilité de gagner de l’argent grâce à ces cryptos.

Apporter de l’utilité à la crypto-sphère, c’est ce qui compte véritablement. Notre objectif et notre vision consistent donc à connecter l’économie numérique, afin qu’elle continue à gagner en utilité.

Je pense que c’est ce qui entraînera la durabilité de ce secteur, et ce qui entraînera l’adoption. Tout ce qui se passe au niveau des prix découle de cela.