Interview exclusive : Nicolas Louvet, PDG de Coinhouse, déclare que la SEC américaine est “stupide” et imagine la convergence des crypto-monnaies avec TradFi

Gary McFarlane
| 16 min read

Cryptonews.com s’est entretenu avec Nicolas Louvet, le PDG de Coinhouse, l’une des principales plateformes d’actifs numériques en Europe, comptant 350 000 clients. 

Cette entreprise est l’une des rares du secteur à combiner conseils et services de courtage.

La société, basée à Paris, a vu le jour en 2015 sous le nom de “La Maison du Bitcoin”. Il s’agissait alors d’un endroit physique dans lequel se rassemblaient les personnes intéressées, de près comme de loin, par la blockchain et le monde des crypto-monnaies, pour discuter des tendances et de l’évolution du secteur. 

Depuis son lancement, Coinhouse n’a cessé d’évoluer, jusqu’à devenir l’une des sociétés de crypto-monnaies les plus reconnues en France. C’est d’ailleurs la première à avoir été réglementée par l’Autorité des Marchés Financiers

Aujourd’hui, Coinhouse propose des services de gestion d’actifs et de portefeuilles, ainsi que des solutions de conservation, des produits de compte d’épargne et des services d’achat et de vente pour plus de 50 crypto-actifs.

Comme le laisse entendre son slogan, Coinhouse se prétend être “plus qu’une crypto-banque”. Et comme vous le découvrirez à travers cette interview, l’entreprise se voit comme une sorte de nouvelle institution financière, qui s’imposera de plus en plus comme un intermédiaire entre la DeFi, les actifs numériques dans leur ensemble, et la traditional finance (TradFi).

Dans la première partie de ce grand entretien, Louvet partage son point de vue sur les réglementations, les stablecoins, la position de l’Europe dans l’industrie mondiale et les challenges et opportunités susceptibles durant le “Crypto Winter”.

Bien que cela puisse être controversé, il qualifie de “stupide” l’organisme de régulation américain, la SEC (Securities and Exchange Commission), considérant comme insensée leur obsession de savoir si certains actifs numériques doivent être considérés comme des titres. 

Il insiste sur le fait que l’objectif doit être d’établir un partenariat entre les régulateurs et les acteurs de l’industrie afin de créer un environnement transparent, qui soit à la fois sûr pour les consommateurs et juste pour toutes les institutions, grandes comme petites. 

GM : Voyez-vous l’actuel “Crypto Winter” comme une période présentant à la fois des challenges et des opportunités pour les plateformes d’actifs numériques ?

NL : Oui, tout à fait. Les conditions actuelles du marché des crypto-monnaies sont assez difficiles, puisque l’on constate bien évidemment une baisse de volume, ainsi qu’une baisse d’attraction de nouveaux clients. 

Cela signifie également que les clients actuels, une partie d’entre eux du moins, font face à des pertes dans les conditions actuelles du marché. 

Certains n’ont peut-être pas réalisé à quel point la volatilité pouvait être élevée et doivent probablement revoir leur vision de certains actifs et de certains investissements. Ils peuvent faire le tri entre les actifs qu’ils considèrent comme intéressants sur le long terme, et ceux ayant peu de chances de survivre.

Prenons l’exemple de Solana ou Polkadot. Si l’on se fie à leur valorisation au cours des dernières semaines et des derniers mois, ces actifs pourraient être remis en question. Pour garder confiance en l’avenir de ces projets, il est important de s’assurer que les fondamentaux derrière ceux-ci soient assez forts. 

De plus, la situation actuelle n’est pas seulement un défi pour les nouveaux investisseurs crypto. Elle l’est également pour les personnes qui ont investi car ils croient vraiment au potentiel des crypto-monnaies, et non parce qu’il s’agit d’une opportunité à court terme. 

Et lorsque le prix baisse rapidement, certains perdent espoir et vendent leurs crypto-monnaies, en se disant que ce n’était finalement pas fait pour eux et que c’était une erreur.

Il est assez difficile de convaincre ces clients de revenir sur le marché, et ils ne sont probablement pas venus pour les bonnes raisons en premier lieu.

Ceux qui représentent une plus grande opportunité pour nous, les plateformes d’actifs numériques, ce sont ceux qui croient réellement au potentiel des crypto-monnaies et cherchent à réévaluer un projet. Ils ont besoin de beaucoup d’informations, de beaucoup de conseils, de beaucoup de données, de beaucoup d’analyses sur le projet. Cela permet de comprendre quel pourrait être son avenir, quel intérêt le projet suscite, quelle est sa valeur intrinsèque, etc. 

Nous sommes donc dans une bonne période du point de vue de l’investissement : une opportunité de réévaluer et pourquoi pas d’investir à un coût beaucoup plus faible, et aussi de diminuer votre coût moyen. 

“Le Bitcoin à 20 000 dollars est un bon point d’entrée, comparé à lorsqu’il était à plus de 40 000 dollars” 

Prenons le cas du Bitcoin ou de l’Ethereum. Il y a encore quelques mois, la valeur du Bitcoin était de plus de 40 000 dollars, tandis que l’Ethereum était à plus de 3000 dollars. Aujourd’hui, leur prix respectif est de 20 000 dollars et 1000 dollars environ, ce qui en fait un bon point d’entrée. 

Diminuer votre coût d’investissement moyen vous permettra d’augmenter les probabilités de générer de gros profits lorsque le marché repartira à la hausse.

Pour ce qui est des plateformes d’actifs numériques comme la nôtre, c’est également un très bon moment pour prendre de grandes initiatives de développement, telles que l’ajout de nouveaux produits. Nous réfléchissons à la prochaine étape de notre évolution.

Je ne pense pas que nous resterons dans la configuration actuelle de marchés et de plateformes déconnectés, avec des actions et des obligations par ci, des matières premières ou tout autre actif par là; ou avec les crypto-monnaies d’un côté et le système financier traditionnel de l’autre.

J’ai la conviction qu’il s’agit du moment idéal pour se pencher sur la convergence entre la finance traditionnelle et la finance des actifs numériques.

Et grâce à cette convergence, de no modèles économiques émergeront, ainsi que de nombreux nouveaux services qui seront nécessaires.

Par exemple, chez Coinhouse, nous proposons des services de gestion d’actifs et nous avons créé un système de paiement afin de convertir les crypto-monnaies en fiat. C’est grâce à ces changements que nous pouvons affirmer être “plus qu’une crypto-banque”. 

C’est le moment idéal pour construire l’avenir, pour préparer les prochaines étapes, qui consistent en une véritable convergence des deux univers – les actifs numériques et la finance traditionnelle.

Et, par conséquent, c’est également un très bon moment pour acquérir des entreprises, développer de nouvelles compétences et de nouvelles aptitudes. Cela peut se faire par le biais d’une fusion ou d’une acquisition, de partenariats solides ou, peut-être, par le biais d’une acquisition par une autre firme. Quoi qu’il en soit, pour le secteur des actifs numériques, la restructuration et la consolidation auront une importance majeure.

GM : Pensez-vous que vos racines et votre forte influence en Europe sont favorables à Coinhouse en termes de réglementations MiCA (Markets in Crypto Assets) ? 

NL : Complètement. Je suis peut-être un peu arrogant, mais Coinhouse est probablement l’une des entreprises les plus avancées au monde, si ce n’est la plus avancée, en termes de conformité réglementaire.

Nous pouvons affirmer que nous avons contribué à la création de réglementations sur les crypto-monnaies en France. Et ces réglementations sont désormais appliquées rigoureusement. 

Ce n’est absolument pas le cas du côté de l’Asie et des États-Unis. Il doit y avoir plus de collaboration entre les régulateurs et l’industrie des crypto-monnaies.

Comme je l’ai dit, chez Coinhouse, nous sommes probablement l’une des entreprises les plus réglementées dans la sphère des crypto-monnaies à l’heure actuelle, nous pensons donc être très en avance lorsqu’il s’agit de conformité réglementaire.

Par conséquent, être en mesure de remplir les critères des réglementations MiCa n’est pas un problème pour nous. D’ailleurs, c’est également valable pour le GAFI (Groupe d’action financière, un organisme de réglementation mondial initié par le G20).

GM : J’ai remarqué que le gouvernement français était très conciliant avec Binance. Cela fait-il partie d’une stratégie plus globale du gouvernement afin de s’imposer en tant que “hub de la crypto-monnaie” ? 

NL : Si l’idée est d’essayer d’attirer de grandes entreprises comme Google, Amazon, ou leur équivalent dans le nouveau monde financier, avec l’espoir de les façonner pour le marché français ou européen et les inciter à développer l’emploi, payer des impôts et ainsi de suite, je trouve cela un peu naïf. 

Je n’ai jamais vu une entreprise telle que Google se réjouir de payer 50 % d’impôts en France. L’UE a déployé des efforts considérables afin d’essayer de créer une taxe mondiale comme les GAFA (une taxe spéciale en France, payée uniquement par Google, Apple, Facebook et Amazon), en vain. 

Je ne pense pas que ce soit la bonne approche.

Cependant, si le but est d’encourager le développement ici, en Europe, et de s’assurer que les grandes entreprises américaines respectent les réglementations, alors c’est une bonne chose. 

Il est logique d’essayer, au minimum, de travailler avec les grandes entreprises américaines, de rester proche d’elles et de comprendre ce qu’elles peuvent faire. 

Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que les règles soient les mêmes pour tout le monde, pour que les petits acteurs soient traités de la même façon que les grands. 

En réalité, ce n’est pas vraiment le cas dans la plupart des secteurs. Prenons l’exemple de l’industrie pétrolière et énergétique, l’industrie automobile ou encore l’industrie pharmaceutique : il y a toujours un risque que les gros soient avantagés.

En tant que citoyens européens, notre rôle est de veiller à ce que la compétition soit équitable. 

GM : Cela m’amène à la prochaine question : l’Europe et l’Union européenne sont-elles en mesure de diriger le monde en termes de réglementations des crypto-monnaies ? MiCa peut-il devenir un exemple pour d’autres régions, même s’il existe bien évidemment des différences entre les économies avancées et les économies moins développées dans la manière dont elles agissent en matière de réglementations de crypto-monnaies ?

NL : Oui et non.

Ce qui me frappe le plus, c’est le fait que les États-Unis, qui sont censés être l’un des pays les plus pragmatiques au monde, ne le sont absolument pas lorsqu’il s’agit des crypto-monnaies. 

Les USA font des choses vraiment stupides. Par exemple, la manière dont la SEC perd du temps à déterminer si un actif numérique est un titre, ce genre de choses.

Je pense donc qu’en Europe, nous avons toujours l’opportunité de faire valoir notre vision à travers le monde. Mais nous nous devons de faire preuve de pragmatisme.

Nous devons toujours être pragmatiques. Je ne pense pas que dans le reste du monde, les gens suivront forcément ce que nous faisons en Europe. Ils seront pragmatiques et prendront ce qui leur convient.

Il existe déjà certaines organisations mondiales, telles que le GAFI, qui encouragent les discussions au sujet de la transparence financière, la lutte contre le blanchiment d’argent, et les règles de lutte contre le terrorisme sur leurs territoires.  

Et même lorsqu’il existe déjà des réglementations, certaines entreprises affirment être réglementées mais ne se comportent pas comme telles. 

De ce fait, il y a toujours des personnes qui investissent jusqu’à 1000 € en crypto-monnaies, en ne fournissant qu’un simple e-mail, alors que l’entreprise en question affirme faire du KYC (Know your Customer). Je ne pense pas qu’une adresse e-mail soit suffisante pour le KYC. 

Donc oui, l’union européenne peut montrer la voie de certaines façons, mais les gouvernements ont leurs propres lois sur la vie privée et d’autres règles qu’ils prendront en compte.

Mais, bien entendu, si vous voulez faire du trading en Europe, alors vous devez respecter les règles européennes, comme c’est le cas pour la GDPR, par exemple.

GM : Les stablecoins jouent dans l’infrastructure du marché des crypto-monnaies, surtout dans la DeFi, et étaient perçus en quelque sorte comme l’un des secteurs les plus forts de l’industrie, avant l’accident du Terra. Que pensez-vous de cela et des conséquences sur l’industrie ? 

NL : Le marché et l’industrie ont effectivement souffert, dans une certaine mesure, de l’incident du Terra, mais la reprise est assez claire désormais. J’en prends pour preuve le projet USDC stablecoin de Circle, avec la carte stable Euro qu’ils ont annoncée quelques semaines plus tard.

Et oui, je pense qu’il est toujours essentiel que les stablecoins existent. Mais ces problèmes qui surgissent doivent être perçues comme des opportunités de croissance qui font partie de la crypto-économie.

En ce qui concerne les algorithmes ou les garanties et les forces et faiblesses de la monnaie, cela dépend en grande partie de la manière dont le stablecoin a été conçu et de la qualité dont il est géré.

Il ne faut pas oublier que, pour réussir en tant qu’entreprise, la technologie ne suffit pas. Cela dépend également des personnes qui sont derrière le business ou le produit. Quelles sont leurs forces ? Les mêmes questions se doivent d’être posées lorsqu’il s’agit d’émetteurs de stablecoins. 

Parfois, les personnes à l’origine d’un projet sont un peu “geek”. Ce sont des gens passionnés, qui croient en leur technologie, mais qui n’ont pas d’expertise en termes de finance. Ce problème est aggravé par le fait qu’il est facile de lever des fonds via une ICO, sans avoir à faire ses preuves.

Ce que je veux dire, c’est que certaines personnes arrivent à lever beaucoup d’argent et n’en font rien. Le projet est médiocre, ils n’ont pas de réelle vision, etc.

Ces entreprises n’obtiendraient jamais de soutien en capital-risque, par exemple. 

Ces gars auraient été virés. J’ai travaillé 16 ans dans le capital-risque. Je peux vous dire que nous aurions jeté ce genre de projets médiocres.

Je l’ai déjà fait par le passé. Et je suis certain que tous mes collègues du bureau et des fonds de capital-risque à travers le monde auraient fait la même chose. Pour beaucoup de ces stablecoins qui ont échoué, dont Terra USD, le contrôle des risques était très approximatif. Nous devons gagner en maturité dans ce marché.

Nous avons besoin d’agences de notation de confiance pour les crypto-monnaies, comme Standard and Poor’s. Des personnes indépendantes, aptes à réellement se pencher sur un projet, qui seront en mesure de dire “Ok, nous avons interviewé l’équipe, nous avons discuté avec eux, nous avons parlé de la stratégie en détail”. Le même processus qu’une entreprise passerait si elle voulait être cotée au NASDAQ.

Ainsi, le directeur financier de l’entreprise rencontrerait un analyste afin de parler d’un plan d’affaires, des conditions du marché, des finances, des indicateurs clés de performance, etc.

Et si les réponses de l’entreprise ne sont pas bonnes, je suis certain que les analystes diraient “OK, ces gens ne sont pas crédibles du tout”.

Donc oui, nous devons faire preuve de plus de professionnalisme dans ce domaine. Nous devons apprendre de ce qui fonctionne dans l’industrie financière traditionnelle, et le répliquer. Et, bien sûr, nous avons besoin d’une réglementation stricte.

GM : Alors, pensez-vous que les stablecoins entièrement garantis constituent une meilleure proposition, plus transparente que ceux comme Terra USD qui dépendent d’algorithmes très compliqués et sont finalement soutenus par une autre crypto ?

NL : Eh bien, il peut être génial à première vue qu’un projet ait un bilan qui montre qu’il a des actifs égaux au nombre de jetons en circulation, mais qu’ont-ils fait avec votre argent ? Quels sont les actifs exactement ? 

Le collatéral est-il constitué de junk bonds, par exemple ? Regardez le problème avec Tether depuis que le produit a été lancé. Ce n’est pas parce que vous avez une “collatéralisation” stricte que le stablecoin sera nécessairement plus solide.

Une fois encore, je reviens à la relation avec l’équipe. Quelles sont leurs compétences ? Où est la transparence ?

Nous avons besoin de différents types d’agences de notation et d’auditeurs qui examinent ces produits – pourquoi PWC et KPMG ne sont-ils pas impliqués et ne s’assurent-ils pas que tout est vérifié ?

Peut-être même que la Banque centrale européenne ou la Réserve fédérale américaine devront jouer un rôle dans la supervision et la réglementation des stablecoins. En tant qu’industrie, nous ne devons pas avoir peur de cela.

Ceci est la première partie de notre entretien avec Nicolas Louvet, PDG de Coinhouse.