Jérôme de Tychey: entre ConsenSys et Ethereum France

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Ethereum se veut être un ordinateur mondial, mais c’est également aujourd’hui une forte communauté très active. J’ai récemment eu l’occasion de discuter à propos d’Ethereum avec Jérôme de Tychey, directeur de Consensys et président de l’association Ethereum France, anciennement Asseth. Au programme, les différents rôles de Consensys dans l’écosystème Ethereum, le futur des Dapps et de la DeFi et le déploiement d’Ethereum 2.0.

Jérôme de Tychey

Bonjour Jérôme je te laisse te présenter, toi et ton parcours. Comment en est tu venu à Ethereum ?

J’ai découvert la blockchain en 2013. Séduit par Bitcoin, et étant joueur de jeux vidéo avec mon ordinateur personnel je me suis rapidement intéressé au minage. À l’époque je terminais mon cursus universitaire avec un master de recherche en économie. Ça me plaisait beaucoup de confronter le concept abstrait de la monnaie avec les possibilités qu’offre la blockchain. J’ai très vite accroché à l’effervescence de l’écosystème.

À la suite de mes études j’ai travaillé pour des ministères et avec la Commission européenne sur des problématiques de statistiques tout en développant les premiers Meetups d’Ethereum France. J’ai ensuite été recruté par Consensys en 2017 pour participer à la création du bureau français et aujourd’hui nous sommes une soixantaine. Je m’investis encore activement dans le développement de la communauté francophone d’Ethereum et je suis aujourd’hui le président de l’association loi 1901 Ethereum France, anciennement Asseth.

Qu’est-ce que Consensys et quelles sont ses différentes activités ?

Consensys est la plus ancienne société de l’écosystème Ethereum. Elle est apparue dès 2014, peu après le white paper d’Ethereum. ConsenSys s’était donné pour objectif de soutenir l’écosystème naissant et de prendre initialement un rôle d’incubateur pour les startups qui se développent. Nous avons donc financé de nombreux projets sur la blockchain, dessinant petit à petit les cas d’usage de cette dernière.

Après l’incubation, Consensys a identifié un besoin du marché pour des services de conseils destinés aux entreprises souhaitant expérimenter avec la technologie. L’activité a pris de l’essor en 2016 et a mené à la création de l’EEA (Ethereum Enterprise Alliance) début 2017. Cette organisation rassemble une centaine d’entreprises d’industries très différentes qui ont en commun de vouloir discuter de standards pour intégrer Ethereum dans leurs processus de production.

Depuis 2017, Consensys a continué à soutenir l’écosystème et à accompagner sur le marché les produits développés par les startups de son portefeuille. Consensys Venture est la partie de ConsenSys qui s’occupe des investissements, principalement en amorçage (seed) et série A, donc généralement dans les prémices des startups blockchain. Nous avons notamment des investissements dans Sorare, Quidly ou Coinhouse pour citer des projets français. Nous accordons également des bourses et des donations à des projets de recherche ou ayant un impact social.

ConsenSys est une entreprise qui développe des logiciels et implémente des solutions techniques pour ses clients. Les équipes d’ingénieurs de ConsenSys mettent au point des applications permettant d’émettre et de gérer des jetons ainsi que toute l’infrastructure nécessaire à l’utilisation de la blockchain à grande échelle.

Nous participons également au développement d’Ethereum 2.0 dont nous reparlerons par la suite à travers notre propre client. Enfin nous formons également les prochains acteurs de l’écosystème et de la communauté avec Consensys Academy.

Avec de tels moyens, comment Consensys s’inscrit dans la gouvernance d’Ethereum ?

C’est vrai que nous sommes un acteur majeur de l’écosystème. Avec environ 1 000 employés, déployés partout dans le monde et des investissements dans de nombreux projets Consensys peut sembler tentaculaire, mais nous n’avons absolument pas de contrôle sur la feuille de route de la Fondation Ethereum.

Notre équipe PegaSys développe un client Ethereum nommé Hyperledger Besu et autre client pour Ethereum 2.0 nommé Artemis. En tant que core devs, les membres de cette équipe sont invités aux meetings qu’animent la Fondation sur le continu des mises à jour et l’évolution des spécifications.

ConsenSys a un rôle très différent de la Fondation. Celle-ci réalise la vision présentée dans le white paper d’Ethereum tandis que nous sommes une entreprise à but lucratif développant des logiciels et faisant des investissements stratégiques.

Le Web 3.0 passe par des applications décentralisées, mais est-ce leurs seuls avantages ?

Je préfère parler de désintermédiation, puisqu’il est complexe de définir ce qu’est la décentralisation ou la centralisation. L’objectif est de permettre aux utilisateurs de créer un chemin d’accès direct au protocole, s’ils le souhaitent. Offrir une option alternative, qui a de nombreuses qualités telles qu’une résilience accrue, une disponibilité permanente et non censurable.

La blockchain permet d’offrir cette option alternative dans de nombreuses applications. Parmi elles on trouve par exemple le fait de rendre aux utilisateurs leur souveraineté sur leur identité numérique qui est actuellement détournée par des acteurs comme Google ou Facebook.

Le Web 3.0 est une question de valeur et parfois de survie pour les utilisateurs. L’écosystème Ethereum fait en sorte que ces options deviennent de plus en plus simples et accessibles au fil des années. Le cas du navigateur Brave me semble emblématique de ce mouvement, il prend à contre-pied la tendance des navigateurs internet en filtrant toutes les récupérations de données et les publicités. Vous décidez qui peut voir les pubs qui vous sont proposées. Vous recevrez alors en récompense des tokens BAT, sur la blockchain Ethereum.

Brave démontre qu’il y a aujourd’hui un besoin, puisqu’il affiche plus de 10 millions d’utilisateurs et je ne connais personne autour de moi qui est revenu en arrière après l’avoir essayer. Les solutions de paiement sur internet comme Paypal ou Stripe ont pu rejeter ou bloquer certains utilisateurs sans préavis notamment dans l’industrie de la vidéo pour adulte. La blockchain apporte ici naturellement une solution de paiement non censurable. Elle permet aussi d’établir la propriété d’objet numérique dans les jeux vidéos.

La DeFi est elle un nouvel effet de mode de la communauté ou un véritable cas d’usage ?

Là aussi je préfère me référer à une finance désintermédiarisée pour parler de DeFi. Dans les faits aujourd’hui, la DeFi dépend par exemple de services d’oracles centralisés pour obtenir des flux de prix. Néanmoins, je suis convaincu que la DeFi répond à des besoins réels.

Je peux désormais emprunter des fonds sans déposer de dossier à la banque ou obtenir une rémunération sur mes actifs numériques. Dans une période où les taux d’intérêt sont historiquement bas, l’émergence d’une telle alternative est d’autant plus intéressante. La DeFI rémunère de 3 à 8% par le stacking, la contribution à la liquidité ou des prêts à court terme ! Il faut bien sûr faire attention car ces taux reflètent des risques liés aux smart contracts et à la maturité de ces offres, mais cela montre ce qu’il est possible de faire différemment. Nous verrons rapidement des actifs réels apparaître dans la blockchain, par le biais de la tokénisation ou de la synthétisation et également de nombreux nouveaux produits financiers.

En suivant l’actualité, on se rend compte que le secteur fait face à certaines problématiques.

En effet, dernièrement l’écosystème a été la cible de certaines attaques ou d’abus de son fonctionnement, liées principalement aux flash loans. Toutefois dans le cadre de la DeFi et contrairement à la finance traditionnelle, tout est public et transparent. Dans les heures qui suivirent les attaques, chacun était en mesure de prendre connaissance. À l’opposé dans la finance traditionnelle ces événements peuvent être dévoilés des années après, voire tenus secret pour toujours. Dans le cas spécifique des flash loans, l’application était assurée par le service blockchain de Nexus Mutual qui a couvert les pertes. Je pense que nous allons voir d’autres solutions apparaître et les services se renforcer.

Que peut-on attendre d’Ethereum 2.0, cela donnera-t-il naissance à de nouveaux types de Dapps ?

Ethereum 2.0 c’est avant tout une validation des transactions plus rapide, et moins chère. Les Dapps actuelles en profiteront, et la DeFi ou les jeux vidéos semblent être les premiers concernés. La nouveauté fondamentale est bien sûr le passage en Proof of Stake car l’Ether rapportera désormais des ethers. Il existera un taux d’intérêt universel et donc une forte incitation au stacking. La communauté est aujourd’hui assez confiante sur le déploiement d’Ethereum 2.0 en 2020. Aujourd’hui, il existe différents réseaux de tests fonctionnels qui possèdent chacun leurs propres paramètres. La recherche se fait au jour le jour sur les différents forums de la communauté (https://ethresear.ch/ ), elle peut paraître difficile à suivre de l’extérieur mais cela reflète la grande intensité de son activité.

Vous organisez bientôt ETHCC à Paris, une petite présentation ?

Bien sûr, je suis doublement impliqué dans ETHCC cette année, d’une part en tant que sponsor avec Consensys, et d’autre part en tant qu’organisateur avec Ethereum France. ETHCC (Ethereum Community Conference) se déroule à Paris du 3 au 5 mars et c’est la conférence à ne pas rater si vous vous intéressez à la blockchain. Plus de 1 500 personnes s’y rendent pour rencontrer environ 300 intervenants, participer à des ateliers de développement et aux nombreux événements en parallèle la même semaine. La plupart des conférences seront en anglais, mais nous avons également une “French Track” ! Rendez-vous donc à Paris du 3 au 5 mars, ou en streaming si vous ne pouvez pas vous y déplacer.

Lire aussi: Ethereum, l’acteur principal de la désintermédiation.