Jeremy Clark: la cryptographie dans le sang

David Nathan
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Photo: Jeremy Clark à Catallaxy / Université Concordia

Professeur depuis six ans à l’université canadienne de Concordia et titulaire de la chaire de recherche industrielle en technologies blockchain Raymond Chabot Grant Thornton-Catallaxy-Concordia-CRSNG, nous avons rencontré Jeremy Clark, une des références universitaires en matière de cryptographie.

Cryptonews: Comment avez-vous commencé dans le monde de la cryptographie?
Jeremy Clark: Quand j’étais à l’université, j’aimais vraiment ce que l’on appelle les automates cellulaires, j’avais découvert ça dans le magazine Wired. Mon ami (et maintenant collègue de recherche) était déjà dans le monde de la cryptographie. On a décidé de combiner nos intérêts pour un projet de dernière année et je suis devenu accro. Un an plus tard, j’ai rencontré l’un des fondateurs de ce domaine: David Chaum. Il a inventé la cryptomonnaie numérique alors que je portais encore des couches. Nous avons commencé à travailler ensemble sur le sujet du vote sécurisé. J’ai trouvé ce sujet étonnant car c’était à la fois très technique mais il y avait aussi un réel impact social. On concevait des protocoles, on écrivait du code et ensuite on pouvait parler aux décideurs et aux responsables des élections. Et en bout de ligne, j’ai vu des gens voter grâce notre système!

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez découvert Bitcoin?
Pour être honnête, la liste de diffusion sur la cryptographie où Bitcoin a été mentionné regorgeait de craintes et de doute quant à la façon de créer une monnaie numérique. C’est embarrassant à avouer, mais je pense que je n’ai pas regardé Bitcoin assez en profondeur pour être capable de voir quelque chose de différent. Finalement, mes collègues ont continué à m’en parler et, quand j’ai compris le concept de la preuve de travail (proof-of-work), j’ai immédiatement vu comment Bitcoin résolvait un problème sur lequel je travaillais moi-même.

L’un de vos cours s’intitule “Technologies Bitcoin et blockchain”. Comment l’université a-t-elle réagi lorsque vous lui avez annoncé votre intention d’enseigner le Bitcoin?
Ils étaient très enthousiastes! C’était le premier cours sur le sujet dans une université au Canada, à ma connaissance. Pour chaque élève inscrit, il y avait un membre non inscrit de la communauté qui souhaitait simplement assister au cours en auditeur libre. Nous avons d’ailleurs eu des problèmes avec la taille de la salle! Cela m’a donné une idée et la deuxième fois que j’ai enseigné cette matière, j’ai mis les conférences en ligne sur YouTube à l’intention de tous.

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Pensez-vous que les sujets liés à la cryptographie seront abordés dans les mois / années à venir et que de plus en plus d’universités intégreront des cours sur les cryptos, la blockchain, non seulement dans les départements de sciences informatiques, mais également dans de nombreux autres (économie, TI, comptabilité, etc.)?
Absolument et c’est déjà le cas! Nous avons un cours d’ingénierie ici à Concordia. Je sais que c’est un sujet qui est couvert dans au moins un cours de notre école de commerce. Un collègue de l’Université d’Ottawa offre également un tel cours en droit. L’Université de la Colombie-Britannique a des offres dans ce sens en sciences de l’information et des bibliothèques et si vous regardez les principales universités américaines, comme le MIT et Cornell, vous verrez qu’elles ont des centres de recherche dédiés et que le sujet est traité dans plusieurs facultés et départements.

La technologie blockchain et le protocole Bitcoin sont-ils deux matières incontournables à enseigner en 2019?
Je pense que ces matières sont trop pointues pour que l’on puisse dire que les étudiants en informatique ont besoin d’un cours uniquement consacré à ces deux sujets. Cependant,il me semble que les étudiants de premier cycle devraient être exposés aux concepts qu’ils véhiculent et je pense aussi qu’ils conviennent parfaitement aux cours de deuxième cycle, notamment en informatique, en ingénierie des systèmes d’information et en ingénierie financière.

Jeremy Clark / Photo: Université Concordia
Jeremy Clark / Photo: Université Concordia

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L’un de vos principaux sujets d’étude est le système de vote. Où en sommes-nous en ce qui concerne le système de vote utilisant la blockchain? Allons-nous bientôt voir des applications concrètes?
Je dis toujours que voter est un problème très difficile du point de vue de la sécurité. Si vous avez 10 problèmes à résoudre, la blockchain résout le 8ème de votre liste. En d’autres termes, ce n’est pas une panacée. Pour être honnête, j’aime le papier. Je sais qu’il n’est pas toujours réaliste de compter à la main les bulletins de vote en papier lors d’une grande élection, mais j’aime tout de même un système utilisant des bulletins de vote en papier. Peut-être un scanner optique peut-il créer une piste d’audit numérique sur une blockchain pour en assurer la vérifiabilité. De plus, nous devrions avoir des audits obligatoires limitant les risques des bulletins de vote après l’élection. Il y a 10 ans, au sein d’une grande équipe de chercheurs, nous avons conçu un système appelé Scantegrity parfaitement adapté à cette situation (vous pouvez en effet trouver des preuves cryptographiques sur la blockchain de Bitcoin pour préserver l’intégrité d’une élection municipale que nous avons organisée à l’aide du système).

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la Chaire de recherche industrielle CRSNG / Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT). Que ferez-vous concrètement?
Il s’agit d’une collaboration de cinq ans avec Catallaxy et leur société mère RCGT. Je superviserai une équipe d’étudiants travaillant sur le projet et nous nous intégrerons à l’entreprise et à ses opérations en apportant notre expertise. La blockchain est nouvelle et en évolution, et des entreprises comme Catallaxy veulent être à la pointe des connaissances et de l’expérience de leurs clients. Certains pensent peut-être que c’est de la science-fiction pour une entreprise de présenter dans son bilan comptable une quantité importante de Bitcoin et d’autres crypto-actifs, mais il en existe beaucoup dans ce cas au Canada de nos jours. Pour pouvoir auditer ses états financiers, un auditeur comme RCGT doit s’assurer que les actifs existent réellement et sont bien détenus par l’entreprise. Les contrôles internes sur ces actifs permettent de les sécuriser contre les pirates informatiques. Toutes ces questions commencent en étant des questions d’audit et finissent par devenir des questions techniques qui nécessitent une compréhension approfondie de la technologie, de ses capacités et de ses limites.

Quel avenir prévoyez-vous pour Bitcoin? Une réserve de valeur (or numérique) ou plus que cela?
J’ai grandi en lisant le magazine Wired, qui adore prévoir l’avenir. Mais si vous lisez un numéro des années 1990, vous constaterez rapidement que l’avenir est presque impossible à prédire. Il est souvent plus conventionnel que ce à quoi on s’attendait. Donc, j’hésite à prédire quoi que ce soit à propos de Bitcoin, mais je dirai deux choses: (1) la technologie sous-jacente est là pour rester, et (2) Bitcoin doit résoudre certains problèmes d’adaptabilité si il veut rester prédominant. Une réponse à ce problème est un taux de change stable. Cela peut se produire de manière organique si les spéculateurs quittent le marché du BTC, mais il est plus probable que ça arrive par le biais d’une cryptomonnaie concurrente.

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