La spéculation dans les cryptomonnaies a ruiné beaucoup de jeunes qui étaient déjà précarisés : un peu de recul
Cet article est signé Jean Langlois-Berthelot, Docteur en Mathématiques Appliquées, enseignant à SciencesPo.
Fin 2020. J’effectue une présentation pour un club assez réputé d’entrepreneurs qui travaillent dans les Fintech. Selon le document qui m’a été remis, le public est composé principalement de jeunes trentenaires principalement européens et plusieurs sont en passe de finir un diplôme exécutif d’une école bien connue. Cela n’est pas la première fois que j’interviens sur la blockchain et sur ce sujet, je me suis déjà fait une réputation de « rabat-joie », « avec la mentalité d’un boomer ».
Le sujet part évidemment rapidement sur Ethereum. Mon avis (un peu/beaucoup documenté) ne semble pas correspondre à ce qu’attendait l’audience et je revis pour la énième fois une scène étrange où des jeunes gens a priori brillants me parlent de placements financiers et de technologies avec des sentiments, des émotions voire même de la passion. Je ne prétends évidemment pas avoir les réponses parfaites mais tous les voyants sont au vert. J’ai tort. Forcément. Pas de discussion donc.
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Je tente de changer de sujet et aborde le fameux livre blanc de Yakovenko et le potentiel de Solana, la seule personne qui connaît m’indique, sans douter de lui-même, qu’Anatoly Yakovenko travaillait pour Dropbox et donc qu’il est hors sujet.
Mai 2022. C’est la panique générale. Terra (LUNA) s ‘effondre. Plusieurs personnes se suicident. Je n’ai évidemment aucune joie particulière à voir ce désastre. Mais j’ai cette voix dans la tête : « C’est pas comme si on avait pas un peu prévenu que c’était pas très clair tout ça». A quoi bon s’exprimer si c’est sans bruits et sans fracas, dans une génération où celui qui parle le plus fort est persuadé que les autres lui donne raison par leur silence…Une peu de philosophie chinoise ferait le plus grand bien…
L’été est là et c’est le parfait moment pour prendre un peu de recul.
D’une façon inquiétante, beaucoup de cryptos ont prospéré dans un écosystème de spéculateurs et d’investisseurs jeunes et en situation de précarité. Quand spéculer sur les marchés financiers « habituels » était considéré, pour ceux-ci, comme un terrain trop difficile, ils ont investit beaucoup et très vite dans des objets financiers explicitement fragiles. La majorité de ces jeunes adultes ambitieux et courageux n’avaient pas les moyens (et les connaissances ?) pour placer leur argent dans la pierre ou en bourse.
Nous sommes une génération précaire et beaucoup sont ceux qui ont été sacrifiés de manière involontaire (et parfois volontaire) par la génération passée. Dans cette génération où tous semble plus dur, plus violent, et où pourtant « nous n’avons pas connu la guerre », pour beaucoup, les cryptos semblait un rêve. Il y avait tous les ingrédients d’une revanche générationnelle : dérégulation des marchés, nouveauté supposée (rien n’est moins sûr) des technologies déployées etc. Je rejoins sincèrement l’avis de l’économiste Michel Santi (1) quand il indiquait le 19 Mai 2022 :
« La crypto a vendu du rêve à la jeunesse, qui y a trouvé une manière idéale de se démarquer des anciens. Dans un monde où les inégalités sont aberrantes, où l’immense majorité des jeunes du monde entier sont désormais les nouveaux pauvres, la seule et unique arme à disposition de cette caste d’intouchables leur permettant de se distinguer fut la crypto qui a pu un temps les convaincre qu’ils se mettraient sur les pas des riches et des puissants, en usant accessoirement d’un instrument avant-gardiste. (…) C’est encore et toujours ceux qui peuvent le moins se permettre de perdre qui sont lésés et ratiboisés. »
Faut-il sonner pour autant sonner le glas des investissements dans les cryptos ? Cela n’engage que moi mais ma réponse est évidemment non. Je reprendrais simplement les mots d’un ami trader à Londres :
« Trading is the new war, they thought they could go to the war without any skills ».
Nous sommes une génération qui n’a pas peur de se remettre en question, de se former tout au long de la vie et d’accepter l’erreur et la défaite.
Non la crypto n’est pas morte par contre comme l’a dit encore récemment Vitalik Buterin « It is a serious thing, for serious people ». A bon entendeur…
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