Livre: Blockchain, vers de nouvelles chaînes de valeur (première partie)

David Nathan
| 10 min read

Blockchain, vers de nouvelles chaînes de valeurde Martin Della Chiesa, François Hiault et Clément Tequi (Éditions Prospectives Accuracy)

Si vous vous intéressez à la blockchain et cherchez à comprendre ce que recouvre cet étrange objet qui, reconnaissons-le, peut être un poil déroutant au premier abord, voici un livre dont Cryptonews vous recommande chaleureusement la lecture: Blockchain, vers de nouvelles chaînes de valeur. C’est un ouvrage essentiel à mettre entre les mains de tous ceux qui veulent saisir tout le potentiel de la blockchain à travers une approche pluridisciplinaire mêlant histoire, philosophie, technologie, économie, stratégie et finance.

Voici l’interview que nous avons réalisée avec les auteurs de ce livre Martin Della Chiesa, François Hiault et Clément Tequi, qui signent tous les trois ici les réponses d’une même plume. Notons que les Nicolas Bouzou et Thibault Gress ont également contribué à l’écriture du livre.

Pourquoi avoir choisi ce titre? « Blockchain, vers de nouvelles chaînes de valeur »? Est-ce pour bien souligner le fait que ce n’est pas uniquement un objet informatique?
Nous avons choisi ce titre car il synthétise le contenu du livre et, plus largement, notre vision de la technologie Blockchain. [Petit aparté : il n’existe pas de technologie Blockchain en soit, il n’existe que des protocoles, dont le premier : Bitcoin. Mais nous assumons cet abus de langage pour simplifier le discours]. Comme vous le suggérez fort justement, nous avons cherché à dépasser la vision de cette technologie prise uniquement sous l’angle de l’objet informatique puisque nous considérons qu’elle est bien plus que cela. A l’image d’Internet, elle est une technologie de transformation de la vie économique et sociale. Le titre suggère au lecteur cette vision car la formulation « vers de nouvelles chaînes de valeur » laisse une porte ouverte à de multiples interprétations : les « chaînes de valeur » évoquées peuvent être économiques, financières, sociales voire politiques tout en soulignant que les chaînes de la Blockchain ont en elles-mêmes de la valeur. Le mouvement induit par « vers de nouvelles » nous situe quant à lui dans la construction d’un futur plus ou moins proche dont les contours ne sont pas encore totalement bien définis. Enfin, le mot « chaîne » est un clin d’oeil à cette technologie construite à partir de chaînes de blocs scellés par des clés cryptographiques.

Martin Della Chiesa, co-auteur

Vous parlez d’une « destruction créatrice ». Pouvez-vous expliquer ce concept en forme d’oxymore ?
L’oxymore « destruction créatrice » que vous évoquez est évidemment une référence au double mouvement identifié par Schumpeter à l’égard de l’innovation : la création de nouveaux secteurs d’activités, de nouveaux métiers, de nouveaux modes de consommation voire de nouveaux modes d’organisation de la société permise par l’innovation technologique s’accompagne nécessairement par la destruction, ou plutôt la disparition, d’un certain nombre de composantes de la vie économique telle qu’elle était avant cette innovation. Cette destruction est créatrice car l’innovation apporte théoriquement des gains de productivité qui permettent la réalisation d’une tâche similaire en consommant moins de capital économique, humain et énergétique.

Pour bien comprendre ce mécanisme, prenons l’exemple d’Internet qui a permis de réduire considérablement le coût et le temps de la transmission de l’information grâce à la création de nouveaux moyens de communication comme les mails ou les messageries instantanées. Ces derniers se sont peu à peu substitués aux anciens moyens de communications qu’étaient les envois postaux[et le fax ?]. Si on se déplace désormais du point de vue des acteurs économiques, la destruction créatrice implique l’apparition de nouveaux acteurs qui portent l’innovation et la disparation de ceux qui la subissent.

La Blockchain, en permettant de réduire le coût d’exécution des transactions de quelque nature que ce soit, va nécessairement nous conduire à créer de nouveaux modes d’échanges commerciaux qui entreront en conflit avec ceux qui les précèdent. C’est la première fois dans l’histoire que des transactions sécurisées de pair-à-pair à grande échelle sont possibles. Comme nous le soulignions précédemment, l’apparition des nouveaux usages ne se font qu’à la condition qu’ils soient plus compétitifs en terme de gains de productivité.

Clément Tequi, co-auteur

Quels sont les principaux problèmes que la Blockchain pourra selon vous résoudre?
La Blockchain peut se définir comme une machine à créer des comportements vertueux sur un réseau. Cela se traduit notamment par un meilleur alignement d’intérêts entre les différents acteurs économiques coopérant au sein de ce réseau. L’économie du XXIème siècle se caractérise justement par une mise en réseau de plus de plus importante des modes de consommation. Ce phénomène concerne un grand nombre de secteurs d’activité comme l’énergie, le transport, le logement ou la communication. Or, une des principales problématiques que pose cette mise en réseau est celle de la relation entre la notion de « bien commun » et cette question centrale : comment faire en sorte que des acteurs économiques aux logiques individualistes s’inscrivent dans une logique collective ? Pour illustrer cette problématique prenons l’exemple des vélos partagés dans les métropoles européennes. Un des principaux problèmes auxquels font face les collectivités vis-à-vis de ces derniers est la dégradation du matériel. Pour le résoudre il faudrait pouvoir créer des incitations financières récompensant les comportements vertueux où prime la logique collectiviste.

La Blockchain en tant qu’outil permettant de créer et de faire circuler des monnaies programmables sur des réseaux décentralisés est un moyen formidable pour inciter les individus à s’inscrire dans une logique collective et de respect du bien commun.

Qu’est-ce qui va ou peut changer radicalement avec la Blockchain dans le monde de la finance tel qu’on le connaît aujourd’hui?
Rappelons tout d’abord les deux principaux rôles de la finance au sein de la vie économique. La première est de garantir le bon fonctionnement des transactions commerciales. La deuxième est de garantir la bonne allocation des ressources entre les acteurs économiques qui ont un excès de capital et ceux qui ont un déficit de capital.

La Blockchain peut changer radicalement le monde de la finance puisqu’elle propose des solutions alternatives aux deux rôles de la finance. D’une part, elle permet de garantir de manière autonome et décentralisée des transactions commerciales. Le Bitcoin permet ainsi de faire circuler de manière autonome une valeur économique d’un bout à l’autre de la planète. D’autre part elle permet une démocratisation de l’accès aux ressources financières à travers le processus d’ICO (Initial Coin Offering) qui permet la mise en relation des détenteurs de capital avec ceux qui en sont dépourvus de manière complètement décentralisée.

Enfin, la Blockchain est également un formidable outil d’innovation financière puisqu’elle permet de démultiplier, grâce aux Tokens ou monnaies programmables, les droits auxquels peuvent donner accès les titres financiers : droit de propriété, droit d’usage, droit de vote, droit aux revenus et toutes formes d’hybridation. Ces nouvelles formes de droit s’accompagnent d’un fractionnement plus important tout en leur fournissant l’architecture d’échanges indispensables à leur liquidité. Cette innovation financière peut permettre de monétiser ou plutôt « tokeniser » de nombreux pans de la vie économique.

Ce constat pourrait laisser croire à une disparition des acteurs traditionnels puisque la Blockchain propose une infrastructure financière concurrente à celle que nous connaissons. Ce n’est cependant qu’une vue de l’esprit car le monde de la finance assure également une mission de conseil et d’information auprès des différents acteurs de la vie économique, notamment dans la mesure où les risques financiers sont inhérents à chaque investissement.

François Hiault, co-auteur

De nombreux secteurs d’activité travaillent sur la Blockchain (gouvernements, universités, institutions financières, logistiques etc.). Il faudra combien de temps avant que des solutions concrètes de la Blockchain intègrent notre quotidien?
Pour rappel, à l’heure actuelle, il n’existe pas, ou peu, d’usages de la Blockchain qui s’adressent au grand public avec une expérience utilisateur de qualité. Quant à savoir dans combien de temps exactement il faudra pour que des solutions concrètes intègrent notre quotidien il nous est impossible de répondre avec précision à cette question. La Blockchain est une technologie complexe qui demande du temps avant d’être implémentée : aujourd’hui nous sommes encore dans la phase de construction des sous-couches de la technologie, c’est-à-dire dans la construction des infrastructures de base. Les applications concrètes avec des expériences utilisateurs de qualité viendront dans un second temps, bien que des premiers modèles ont commencé à émerger depuis deux ans, sur la base d’infrastructures comme Ethereum. Avant d’avoir des usages grand public nécessitant une mise à l’échelle, il faudra sans doute attendre entre 5 et 10 ans.

Néanmoins, nous avons identifié plusieurs facteurs clés de succès pour une adoption plus ou moins rapide : des synergies importantes doivent exister entre les universitaires, les entreprises, les investisseurs, les législateurs et entrepreneurs. Il faut créer un cercle vertueux où les avancées théoriques des universitaires alimentent les avancées empiriques des entrepreneurs de l’écosystème et réciproquement, où les investisseurs croient au potentiel des projets pour y consacrer les liquidités nécessaires à leur développement et où les législateurs créent des cadres légaux souples et attractifs. Nous sommes persuadés que le rôle de l’Etat est clé pour créer les conditions d’émergence d’un marché d’un nouvel ordre.

À lire prochainement, la seconde partie de cette entrevue.

Blockchain, vers de nouvelles chaînes de valeur de Martin Della Chiesa, François Hiault et Clément Tequi (Éditions Prospectives Accuracy)