Saga Ross Ulbricht et Silk Road: Corruption et vices de procédure

Isabelle Mercier
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Photo: Envoi de la collection d’objets du site freeross.org

Ross Ulbricht vient de célébrer son 35e anniversaire derrière les verrous et plus de cinq ans se sont écoulées depuis le début de son incarcération. Cryptonews a souhaité mettre en lumière les évènements entourant cette conclusion dramatique. Nous avons pu nous inspirer à la fois de «Railroaded», un documentaire réalisé en six parties et portant sur l’historique derrière la place de marché «Silk Road», ayant mené à l’arrestation de Ross Ulbricht, et des commentaires que nous avons recueillis auprès de personnalités notoires du monde des cryptos.

La première partie de cet article est disponible ici.

Le troisième chapitre de la première partie du documentaire, intitulé «Karpeles est la cible» nous informe sur l’agent Der-Yeghiayan, le premier à avoir perquisitionné des paquets à l’aéroport O’Hare International de Chigaco. Ces paquets contenaient de la drogue et passaient les contrôles inaperçus. Der-Yeghiayan n’a jamais révélé comment il avait découvert Silk Road, ni comment il avait fait le lien entre ces paquets et la place de marché, mais il a commencé à y faire des achats pour faire des tests. Il s’est aussi renseigné le plus possible, et en retraçant l’histoire sur le web, il a découvert une entrée sur le site bitcointalk.org signée de la part de «silk road staff», le premier utilisateur à en faire la promotion. Le post renvoyait vers un autre site web, silkroadmarket.org, qui n’était pas la vraie place de marché accessible seulement via TOR, mais bien un site régulier expliquant comment utiliser ce navigateur pour se rendre sur la place de marché.

Der-Yeghiayan remonte la piste du site jusqu’à une compagnie appartenant à Mark Karpeles, un français vivant au Japon et propriétaire de Mt.Gox, un des rares et plus gros exchanges de l’époque. Incidemment, Mt. Gox traitait la plupart des transactions en bitcoins à l’époque.

Photo d’écran documentaire Silk Road

Apparemment, Karpeles aurait acquis Mt.Gox environ au même moment où Silk Road a été créé, et il n’est pas exclu que la montée du Bitcoin à l’époque ait été propulsée justement grâce à ce site.

Pour Philippe Jetté, consultant senior pour le Fonds Rivemont Crypto, «Il faudrait se mettre la tête dans le sable pour ne pas reconnaître l’effet qu’a eu Silk Road sur l’adoption du Bitcoin. Peut-être ce commerce illégal a-t-il même eu un effet positif sur le Bitcoin. Peut-on blâmer la technologie par association? Ce serait complètement fallacieux. C’est ce qui importe de retenir pour moi». Francis Pouliot, CEO de Bull Bitcoin, corrobore cette affirmation, «Ross est une figure centrale de Bitcoin. Qu’on le veuille ou non, Silk Road a prouvé aux gens que Bitcoin fonctionnait vraiment, on ne peut pas les dissocier».

Il appert que Karpeles détenait et opérait également le site bitcointalk.org, qui utilisait un logiciel pour son forum, qui était en l’occurrence le même logiciel que celui utilisé sur le forum de Silk Road. Der-Yeghiayan aurait trouvé d’autres similitudes prouvant que Karpeles contrôlait plusieurs sites, puis en avril 2012, il a identifié des adresses reliées à Silk Road contenant l’équivalent de millions de dollars en bitcoins et a remonté ces adresses jusqu’à Karpeles et son associé et bras droit canadien, Ashley Barr. Celui-ci s’exprimait comme DPR alors Der-Yeghiayan a fait le lien et s’est dit que Karpeles était le cerveau et maître derrière les opérations, et Barr le fameux DPR en charge des communications.

Photo d’écran documentaire Silk Road

Au cours du quatrième chapitre «La bataille pour le contrôle», on découvre les rebondissements des forces de l’ordre tentant de s’approprier l’enquête. En effet, Der-Yeghiayan avait déposé l’ensemble de ses informations en juillet 2017, et quelques jours après, un certain Michael McFarland tentait de s’approprier l’enquête. Ce dernier aurait même réussi à émettre plusieurs assignations à comparaître avant octobre de la même année, et souhaitait surveiller Karpeles, le tout sans que Der-Yeghiayan ne soit au courant.

Le cinquième et dernier chapitre de la première partie du documentaire, nommé «Les voyous». ouvre sur une citation de Carla Gericke, candidate pour le sénat du New Hampshire ; «Cette cause n’est pas à propos de Silk Road, c’est à propos du futur de l’internet, de l’autonomie, et de la vie privée».

Photo d’écran documentaire Railroaded

On apprend dans ce chapitre que McFarland a divulgué des informations sur l’enquête à deux agents en poste, qui les ont ensuite utilisées pour s’enrichir grâce à leur infiltration dans cette enquête en utilisant divers moyens dont des méthodes d’extorsion. Ces deux agents apparemment corrompus, Carl Mark Force de la DEA (Drug Enforcement Administration) et Shaun Bridges des services secrets de la NSA, ont tous deux contribué à enlever de la crédibilité à cette enquête par leurs actions. En effet, sept mois après son implication dans l’enquête, en mai 2013, Bridges disparaît soudainement après avoir obtenu un mandat de perquisition de 2 millions de dollars d’un compte appartenant à Karpeles, sans que Der-Yeghiayan ou McFarland ne soient au courant. Il est en effet passé outre, via un autre juge non associé à cette enquête pour obtenir son mandat.

Photo d’écran documentaire Railroaded

Force et Bridges sont aussi allés vers les bitcoins de Silk Road, mais ils l’ont fait en secret afin de garder l’argent pour eux, tout en prétendant être des trafiquants de drogues. Ils ont même pu interroger un suspect de l’affaire pendant qu’il était détenu, obtenu de lui ses identifiants pour accéder aux opérations de Silk Road, en modifier les mots de passe, et accéder à des comptes. Peu après avoir obtenu ces informations, Bridges quitte la salle d’interrogation et utilise les renseignements pour vider certains comptes et transférer les fonds vers Mt.Gox, l’exchange de Karpeles. Mais pour brouiller les pistes, il transfert d’abord les bitcoins vers le compte administratif du suspect pour le faire paraître coupable. L’opération a fonctionné et ce dernier a été accusé, quoique cela ne faisait aucun sens puisqu’il était en train d’être questionné en face de 15 agents au moment où la transaction a été effectuée. Il a tout de même été envoyé en prison et a supplié de passer au détecteur de mensonges à de multiples reprises, mais Force a réussi à empêcher la procédure à chaque fois. Avec des arnaques comme celle-ci, le duo d’agents corrompu aura extorqué pas moins de 23,984 bitcoins.

Pour Severine Glock, architecte logiciel chez Software Labs Groupe Renault, «Pour moi, Bitcoin ne devrait pas être utilisé à des fins criminelles. En effet ce serait montrer uniquement l’utilisation négative que l’on pourrait en faire donc montrer également que sans système centralisé, la société n’est pas capable d’établir des règles de fonctionnement. Ce genre d’affaires augmente la défiance des gens envers une technologie qu’ils ne connaissent pas encore suffisamment».

Le documentaire se poursuit avec une deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième parties, incluant de multiples chapitres, qui sont somme toute une occasion de découvrir des informations inédites sur toute cette affaire complexe et qui dérange. Pour Francis Pouliot, CEO de Bull Bitcoin, «En résumé, c’était une conviction politique et non pas juridique, c’était une instrumentalisation de la justice afin de mettre en application une politique publique. Ils ont nié la dignité de Ross en tant qu’être humain, et c’est terrible car c’est une bonne personne qui avait clairement de bonnes valeurs. Il a peut-être fait une erreur, mais c’est vraiment une tragédie et j’espère qu’il va obtenir son pardon. C’est le genre de cause qui n’est pas controversé à défendre. Objectivement on peut dire qu’opérer un site web qui permet à d’autres gens de faire des choses n’est clairement pas la même chose qu’être un trafiquant de drogues. La peine est disproportionnée et ça ne fait que refléter ce qu’on appelle couramment une chasse aux sorcières».

On le rappelle, Ross est condamné à une peine d’emprisonnement «double sentence à vie sans possibilité de libération conditionnelle + 40 ans». Une pétition, totalisant aujourd’hui plus de 158,000 signatures a été lancée pour demander un pardon du président, constituant le seul espoir restant pour Ross de ne pas passer le reste de sa vie en cage.

Au sujet des prochaines élections américaines en 2020, Cryptonews a pu s’entretenir avec Lyn Ulbricht, la mère de Ross, qui nous a confié, “Je ne sais pas qui serait le meilleur candidat pour nous. Celui qui est président peut libérer Ross, alors ce sera le candidat qui gagne qui pourra aider le plus”.

Près de 100 organisations et individus éminents ont déjà exprimé leur soutien à la cause, et il est possible de se procurer des articles pour aider au financement de la campagne de Ross ou de lui écrire directement.

Les faits présentés dans cet article ont été repris directement du documentaire « Railroaded » et ne représentent pas nécessairement l’opinion de Cryptonews.