Simon Polrot: d’avocat à Ethereum France

David Nathan
| 8 min read

Simon Polrot, fondateur d’Ethereum France

Simon Polrot est le fondateur de la très active plateforme Ethereum France. Cryptonews a voulu en savoir plus sur cet ancien avocat. Interview…

Quand et comment es-tu rentré dans le monde des cryptos?
J’ai découvert le bitcoin assez tôt – j’ai envoyé un article sur Bitcoin à un ami mi-2011, et ai un peu miné en 2013… – mais je n’avais pas réellement compris l’intérêt du système, c’était plus l’aspect un peu magique “monnaie d’internet” qui m’avait captivé. J’ai réellement “plongé” dans les cryptos mi-2015. À l’origine je voulais juste acheter un peu de bitcoin pour un placement long terme très risqué. Mais j’ai découvert sur la plateforme d’échange (Kraken) une crypto nouvelle appelée Ether, j’ai lu quelques infos sur le sujet, cela m’a énormément intéressé et j’ai commencé à faire mes recherches partout ou je le pouvais. De ces recherches est né Ethereum France début 2016 et ça a été un peu le doigt dans l’engrenage…

Qu’est-ce qui t’a attiré dans cet univers?
Ce qui m’a intéressé, ce sont les possibilités liées aux réseaux décentralisés ouverts, en général. Mais ce qui m’a fait rester, c’est sans doute la passion et la “naïveté” de la communauté qui gravite autour de ces projets. C’était sans doute la première fois que je rencontrais des gens a priori non-religieux qui croient vraiment que ce qu’ils font va changer le monde pour le meilleur, sans cynisme – et même avec une certaine candeur. Bien sûr, les choses se sont avérées beaucoup plus compliquées qu’elles ne le semblaient au départ, mais l’énergie du début est toujours bien présente dans la communauté.

C’est quoi ta formation, ton parcours professionnel (en quelques mots)?
Je suis avocat de formation, j’ai à ce titre un parcours parfaitement standard d’environ sept années d’études en droit (licence, master de droit à la Sorbonne puis école d’avocat à Paris). J’ai exercé entre 2011 et 2017 le métier de juriste puis d’avocat, spécialisé en droit des affaires et plus spécifiquement en droit fiscal – pas grand chose à voir avec la blockchain à priori. Mais j’ai toujours été passionné par les nouvelles technologies en général et c’est tout naturellement que j’ai combiné les deux passions début 2016 en orientant ma pratique vers le droit applicable aux cas d’usage de la techno blockchain tout en développant Ethereum France. Et puis en septembre 2017 j’ai fait le grand saut : j’ai “quitté la robe” pour rejoindre une structure appelée VariabL qui est un projet de ConsenSys, le géant de la blockchain qui développe essentiellement sur Ethereum.

Tu as créé Ethereum France début 2016. Pourquoi Ethereum plutôt qu’une autre cryptomonnaie/blockchain?
Ethereum m’a rapidement apparu être à la blockchain ce que le PC était à l’informatique : un moyen pour tous de programmer, développer des projets sur ces technologies et de les utiliser facilement. L’idée de “blockchain programmable” est en soi extrêmement attirante et ouvre des mondes de possibilités même si les risques sont infiniment plus élevés que sur la blockchain Bitcoin.

Il y a parfois une rivalité entre la communauté Bitcoin et celle d’Ethereum. Est-ce que c’est inévitable? Paradoxalement sain? Contre-productif?
Cette rivalité est inévitable, car même si les deux communautés travaillent sur des réseaux publics décentralisés, elles ont en général des philosophies et des objectifs très différents. Bitcoin doit être le réseau parfait de création et transfert simple de la valeur bitcoin, Ethereum est un champ d’expérimentation permanent et instable autour de la valeur numérique programmable, qui va d’ailleurs au-delà de la blockchain elle-même (voir notamment les projets Swarm et Whisper).

Là où la blockchain bitcoin a rassemblé une communauté très homogène au niveau de la culture économique (la plupart des membres sont des adeptes de l’école économique autrichienne) et extrêmement libérale dans ses aspirations politiques, la communauté Ethereum, par son aspect expérimental et cette volonté de changer le monde existant, a d’autres aspirations et d’autres idéaux (plus proches de la philosophie rationaliste américaine). L’article “l’essence d’Ethereum” récemment publié par Jean Zundel sur Ethereum France résume bien ces différences philosophiques.

Ton implication dans la communauté Ethereum va-t-elle plus loin que la gestion du site Ethereum France? Développes-tu des dApps par exemple?
Depuis septembre 2017 je contribue au projet VariabL au sein de la structure ConsenSys. Je suis chargé de la gestion opérationnelle du projet et de la supervision des problématiques juridiques. Je suis également cofondateur et contributeur actif de deux associations françaises, la Chaintech, qui rassemble des acteurs blockchain pour des actions de communication / lobbying auprès des institutions, et et l’Asseth (association Ethereum, qui effectue des actions de formation et organise des échanges autour de la technologie Ethereum en particulier). Enfin je m’investis beaucoup dans différents groupes de travail et j’ai tenté de nourrir les différents rapports parlementaires ou autres qui sont sortis ou vont sortir en France sur le sujet, notamment l’excellent rapport France Stratégie.

C’est quoi selon toi les plus grands défis qu’Ethereum doit relever dans les prochains mois/années ?
Les plus grands défis sont les mêmes que pour toutes les blockchains publiques : améliorer l’expérience utilisateur qui est aujourd’hui désastreuse, augmenter le nombre de transactions traitées par seconde (par les solutions de niveau 2 ou le sharding), réduire la consommation énergétique (passage au Proof of Stake)… La spécificité d’Ethereum est que la machine virtuelle, qui exécute les smart contracts, doit aussi continuer à évoluer et à se perfectionner pour rendre les programmes plus efficaces. C’est notamment le sens du projet visant à faire passer la machine virtuelle sur EWASM.

Combien de temps il va falloir avant que l’on utilise des applications développées sur la blockchain d’Ethereum dans la vie de tous les jours ?
Tout dépend du type d’utilisateur. Aujourd’hui seules les personnes très impliquées dans l’écosystème utilisent des dApps – la barrière à l’entrée est forte en matière technique et l’utilité pour le grand public n’est pas encore évidente. Mais je pense qu’on verra une première dApp assez largement utilisée en 2019, même si je ne vois aucune ouverture au grand public avant 2020, 2021 au plus tôt.

Utilises-tu des dApps? Lesquelles?
À titre personnel, j’utilise régulièrement AirSwap pour l’échange de tokens rapide, cryptokitties pour le fun, Augur lorsque j’arrive à le faire tourner… J’ai également exploré un peu Decentraland qui est prometteur mais très balbutiant, réservé plusieurs noms de domaine en .eth sur l’ENS, créé un compte sur Peepeth, un autre sur Akasha. Enfin, je teste un peu Aragon ces derniers temps.

Quels secteurs de la société seront touchés en premier d’après toi?
Il est très difficile de répondre à cette question car je ne sais pas quel secteur va “décoller” en premier. La réponse évidente est “la finance”, mais comme pour internet je vois plutôt les secteurs “gris” de l’économie utiliser réellement en premier la techno – on pense spontanément à l’industrie pornographique et au projet SpankChain. Je pense que ce sont les deux secteurs qui sont les plus avancés et qui ont le plus à gagner. Je crois aussi énormément aux organisations décentralisées (DAOs) mais leur mise en place va probablement demander plus de travail.

Penses-tu qu’un jour les cryptomonnaies vont remplacer définitivement l’argent fiat ou bien les deux vont co-exister?
Je ne pense pas que les cryptomonnaies vont remplacer l’argent fiat – les deux jouent des rôles différents et complémentaires – au moins pour les 50 ou 100 prochaines années. Il semble irréaliste de voir émerger à court, moyen et même long terme une monnaie “mondiale” dans un monde aux inégalités aussi criantes. De façon générale le besoin d’un actif plus libre de l’influence des états ne se fait pas sentir dans toutes les circonstances. Je pense que les cryptomonnaies, tokens, etc. s’imposeront dans tous les domaines où ils apportent réellement quelque chose de significatif – et que les interactions sur la blockchain en “monnaie fiat” seront de plus en plus répandues au fur et à mesure du déploiement des très nombreux projets de “stable tokens” en cours de création.

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