L’industrie du minage de Bitcoin : un état des lieux

Paul Guillot
| 17 min de lecture

L’industrie du minage de Bitcoin est en recomposition. Entre les récentes limitations imposées  – que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord – en raison de la convergence de divers facteurs tels que la crise mondiale des prix de l’énergie provoquée par les conséquences de la guerre en Ukraine, ou bien la récente faillite de Core Scientific, acteur clef de l’écosystème de minage dont la puissance de calcul équivalait à 10% du hashrate total, ou encore les pressions environnementales qu’exercent à un rythme croissant divers groupes de militants écologistes, dont le dernier exemple en date est celui du Sierra Club, les mineurs de Bitcoin sont mis à rude épreuve et le cours de la cryptomonnaie ayant perdu plus de la moitié de sa valeur sur l’année écoulée, leurs récompenses n’ont pas été si mirobolantes qu’espérées, notamment au regard des investissements massifs et des dettes contractées dans le but de miner le précieux crypto actif. 

De quoi rebattre les cartes d’une industrie en pleine expansion, ainsi que nous le voyons dans cet état des lieux.

Rappel des bases 

Pour rappeler en quelques mots ce que c’est que le minage de Bitcoin, disons prosaïquement que c’est le recours à l’utilisation d’ordinateurs pour résoudre des algorithmes mathématiques complexes afin de valider des transactions sur la blockchain Bitcoin ; les mineurs qui résolvent ces algorithmes le plus rapidement obtiennent une récompense dans le crypto actif éponyme. Mais alors que ces derniers avaient initialement recours à des ordinateurs personnels pour résoudre ces calculs et valider les transactions, l‘industrie s’est petit à petit professionnalisée du fait de l’immense quantité d’énergie nécessaire pour nourrir la capacité de calcul d’ordinateurs toujours plus performants, ce qui a inévitablement entraîné l’émergence de matériel de minage hautement spécialisé ainsi que de grands centres de minage. En outre, plus la puissance de calcul dont vous disposez est grande, plus vous avez de chance d’être le premier à résoudre l’équation, donc d’être récompensé, ce qui n’est pas sans créer un fort effet spéculatif

Le minage ne s’appliquant, à proprement parler, qu’aux blockchains fonctionnant sur un modèle de preuve de travail ou Proof of Work (PoW), Bitcoin est, depuis le Merge d’Ethereumqui a permi au réseau de Vitalik Buterin de transiter vers un modèle de preuve d’enjeu ou Proof of Stake (PoS), la seule cryptomonnaie fortement capitalisée (au moment d’écrire ces lignes la capitalisation totale s’élève à plus de 370 milliard d’euros) à fonctionne sur la preuve de travail et donc à pouvoir être minée. 

Comme rappelé ci-dessus, la performance des ordinateurs et leur puissance de calcul sont essentielles ; cette course au plus grand hashrate a favorisé l’innovation et cette dernière a fini par accouché de la technologie ASIC (Application Specific Integrated Circuit), qui est aujourd’hui une sorte de norme pour la jeune industrie. Mais qu’est-ce que le ASIC ? Eh bien ce sont simplement des ordinateurs dont la seule fonction est le minage, c’est à dire le calcul d’une fonction très complexe : dans le cas du Bitcoin, il s’agit de calculer le SHA-256, qui n’est autre qu’une énigme cryptographique dont la solution permet la validation de nouveaux blocs sur la blockchain afin de percevoir les récompenses associées au minage de ces derniers.

Selon le protocole développé par Satoshi Nakamoto, un bloc est miné toute les dix minutes environ. En 2009, la récompense pour le minage d’un bloc était fixée à 50 BTC. Le mécanisme de division par deux de cette récompense,  aussi appelé “halving”, est prévue par le protocole Bitcoin, et intervient tous les 210 00 blocs, soit environ tous les 4 ans. Elle est passée à 25 BTC le 28 novembre 2012 puis à 12,5 BTC le 7 septembre 2016. Aujourd’hui, miner un bloc de Bitcoin ne rapporte plus que 6,25 BTC.La réduction de moitié de la récompense de minage est prévue pour durer jusqu’en 2140 ou jusqu’à la création du 21 millionième Bitcoin. La récompense aura alors atteint 1 Satoshi, la subdivision ultime du roi des cryptomonnaies équivalent à : 0,00000001 BTC.

Rétrospective

Cela ne fait pas de doutes, malgré les récents tumultes qu’elle connaît, l’industrie du minage de Bitcoin a connu une croissance significative et diversifiée depuis sa création en 2009. 

Au commencement, la Chine était le principal lieu de minage de la cryptomonnaie jusqu’à sa brutale interdiction par les autorités gouvernementales ; à elle seule elle représentait 70% du hashrate mondial en juin 2021, avant de chuter à zéro les mois suivants. Aujourd’hui, la Chine a repris le minage mais de façon clandestine et n’occupe plus la première place du podium, désormais dévolue aux Etats-Unis. D’autres pays comme le Canada, le Kazakhstan, la Russie, le Congo ou le Salvadore recensent des acteurs aux stratégies innovantes qui prennent part à l’industrie du minage de Bitcoin. 

Les coûts énergétiques, comme le rappelle Peter Wall, le PDG d’Argo Blockchain, dont nombre d’installations repose sur l’hydoélectrique québécois sont le principal défi pour l’industrie du minage ; lors d’un récent entretien il déclare que :

 85% des coûts totaux d’une ferme de minage sont réservés au seul poste de la dépense en électricité.

Car le minage de Bitcoin nécessite quantité de puissance informatique, donc d’électricité, il est aisé de comprendre pourquoi la Chine a été le lieu d’élection privilégié pour les mineurs ; sa main d’oeuvre à bas coûts et ses nombreuses installations hydroélectriques, sans oublier le peu de scrupule qu’on a là-bas vis à vis l’utilisation de charbon pour produire de l’électricité, ont séduit les mineurs de la première heure. 

Depuis l‘interdiction pure et simple du minage de Bitcoin en Chine, les mineurs ont cherché de nouveaux terrains fertiles, mais aussi des sources d’énergie bon marché pour réduire leurs coûts d’exploitation et, surprise, cela a conduit à une utilisation croissante d’énergies renouvelables au point de permettre à certains projets environnementaux de repenser de fond en comble leur modèle économique. Un point central et contre-intuitif sur lequel nous reviendrons plus loin. 

Notons que la concurrence croissante au sein de cette industrie a également été un défi pour les mineurs individuels et les petites entreprises. Les grands centres de minage faisant des économies d’échelle et ayant accès à des sources d’énergie bon marché, ils ont réduit leurs coûts d’exploitation. En conséquence, les structures plus modestes ont eut de plus en plus de difficulté à rester compétitifs et, désormais pour la majorité du minage, ce sont des entreprises structurées aux manettes, non pas, comme certains l’imaginent encore, des individus opérant en solo avec des batteries d’ordinateurs branchées sur le réseau électrique national. 

Enfin, rappelons que les incertitudes autour des réglementations qui encadrent ce genre d’activité ont présenté, et continue de le faire, un défi de plus à l’industrie, car ces dernières varient considérablement d’un pays à l’autre. Certaines juridictions ayant adopté une approche plutôt favorable envers le minage de Bitcoin, d’autres l’ayant purement et simplement interdit  ; néanmoins, les innovations devancent souvent les legislations et forcent ces dernières à une refonte constante. Un casse-tête perpétuel, donc. 

 Quid des règlementations ? 

L’innovation ne va pas sans règlementation. Pourtant, l’équilibre à trouver entre une permissivité totale qui finalement nuit à l’innovation et un contrôle etouffant qui risquerait de tuer cette dernière est ténu. 

A l’automne 2022, les évènements ne pouvant pas plus mal s’agencer – l’Europe embourbée dans la guerre en Ukraine voyait venir avec crainte l’hiver en raison de la hausse générale des prix de l’électricité, FTX coulait en entrainant dans sa chute nombre d’acteurs importants de l’écosystème crypto, salissant l’image de l’écosystème crypto dans son ensemble aux yeux du plus grand nombre – la Commission européenne publiait un document dans lequel on peut lire que : 

Compte tenu de la crise énergétique actuelle et des risques accrus pour l’hiver prochain, la Commission invite instamment les États membres à mettre en œuvre des mesures ciblées et ambitieuses pour réduire la consommation d’électricité des acteurs cryptos. (…) S’il est nécessaire de procéder à des délestages dans les systèmes électriques, les États membres doivent également être prêts à stopper le minage de crypto-actifs. (…) 

Mais sur le long terme, ainsi que le montre le texte de loi MiCa (Markets in Crypto assets) qui entrera en vigueur en 2024, l’Europe ne ferme pas la porte à l’industrie. Certaines juridictions, comme la Suisse, ont adopté une approche favorable envers le minage de Bitcoin, tandis que d’autres, comme la France, ont adopté une approche plus restrictive.

Quant à l’interdiction pure et simple, il est judicieux de se souvenir qu’en Chine, cela n’a fait que contribuer à l’écolsion d’un écosystème souterrain dont le hashrate représente toujours une portion majeure du hashrate mondial. 

Quoi qu’il en soit, l’Europe n’est pas la seule qui cherche à mieux comprendre et encadrer les pratiques de cette industrie nouvelle dont la compléxité des tenants et des aboutissants ralentissent leur compréhension par les décisonnaires politiques et la société civile. 

L’Amérique du Nord, que ce soit les Etats-Unis ou le Canada, est une terre choisie pour miner. Ces états fédéraux n’ayant toujours pas de cadre réglementaire national, le soin de légiférer sur cette industrie a jusqu’ici été laissé aux états ou aux provinces, ce qui entraîne des situations diamétralement opposées au sein d’un même pays. Certains états, comme le Wyoming, ont adopté des lois favorables pour les mineurs de Bitcoin, tandis que d’autres états, comme la Californie, sont plus sévères. Au Canada, des provinces comme la Colombie-Britannique et le Québec ont des tarifs d’électricité avantageux pour les mineurs et sont considérées comme des terres d’accueil.

En ce qui concerne le Kazakhstan, qui fut un temps le Far West du nouvel Eldorado en raison de ses immenses ressources énergétiques, le gouvernement a lancé un projet pilote pour créer une zone économique spéciale pour le minage de Bitcoin en 2018, où les mineurs peuvent bénéficier de tarifs d’électricité préférentiels et d’autres incitations fiscales. Cependant, depuis le projet pilote, il n’y a pas eu de réglementation spécifique pour encadrer les activités liées aux cryptomonnaies dans le pays.

Enfin, notons le projet de la Bitcoin City, dont le jeune président du Salvador, Nayib Bukele, a fait son cheval de bataille personel en dépit des revers subis depuis l’adoption du Bitcoin en tant que monnaie légale dans le pays. Projet qui avance puisque le Salvador a voté le 11 janvier une loi sur l’émission d’actifs numériques. Cette loi est la première étape vers la fondation de la Bitcoin City, que le président Bukele prévoit de financer par l’émission d’obligations adossées à la veleur du Bitcoin. L’idée étant de lever un milliard de dollars dont une moitié sera directement réinvestie dans l’achat de Bitcoin, tandis que l’autre servira à financer une gigantesque ferme de minage puisant son électricité dans le volcan du Conchagua. Une intiative verte qui nous mènent à notre prochain point.

Le défi environnemental

Comme indiqué dans l’introduction, la pression des militants écologistes sur l’industrie du minage se fait de plus en plus sentir. Et pourtant, les mineurs sont en première ligne dans la course aux énergies renouvelables. Selon le dernier rapport du Bitcoin Mining Council, un forum mondial composé des principales entreprises de minage, la part d’énergies vertes dans le mix utilisé a atteint en record de 59,5% au secoond trimestre de 2022. Dès lors, il est légitime de se demander pourquoi les écologistes ont intensifié leur lutte contre ce secteur. 

Voici les principales raisons de l’opposition des militants écologistes à l’industrie de minage : 

  • L’impact global : le minage de Bitcoin nécessite une énorme quantité d’énergie, même s’il est produit à partir de sources renouvelables. Cette énergie pourrait être utilisée à d’autres fins, plus souhaitables.
  • L’impact local : il est possible que les installations de minage de Bitcoin utilisant des sources renouvelables soient situées dans des zones rurales ou sauvages, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les écosystèmes locaux.
  • La question de la viabilité : il est possible que l’utilisation de sources renouvelables pour le minage de Bitcoin ne soit pas suffisante pour réduire de manière significative les émissions de gaz à effet de serre liées à cette activité.
  • Le débat sur la pertinence : certains estiment que le Bitcoin est une innovation inutile et qu’il n’apporte pas une réelle plus-value à la société, ils ne voient donc pas l’intérêt de dépenser des ressources énergétiques pour maintenir son fonctionnement.
  • La question de la réglementation : pour de nombreux activistes, les réglementations actuelles ne sont pas suffisamment strictes pour réglementer le minage de Bitcoin de manière à protéger l’environnement.

Ces griefs sont légitimes quoiqu’ils suscitent nombre de désaccords, notamment quand on en vient au point de l’utilité de Bitcoin. 

Sébastien Gouspillou, co-fondateur de BigBlock Datacenter, un groupe spécialisé dans le minage, déclarait en 2021 lors d’un entretien dans le Anita Posch Show que :

Le Bitcoin est simplement le meilleur système monétaire dont nous pouvons rêver. Il s’approche d’une monnaie parfaite et de l’idéal monétaire pensé par plusieurs économistes tels que Friedrich Hayek, Maurice Allais ou Milton Friedman. 

Pour lui donc, d’entendre les militants écologistes dire que le Bitcoin n’a pas d’utilité, c’est presque un blasphème. Mais, très sensible aux enjeux climatiques et énergétiques de notre siècle, Sébastien Gouspillou fait tout pour miner dans des conditions environnementales et sociales saines. D’après lui, l’industrie du minage peut devenir un moteur de la transition énergétique. Il explique : 

Aujourd’hui tous les projets liés aux énergies renouvelables sont grassement subventionnés par les états, peu profitables et pour atteindre l’équilibre financier c’est une pénible mission. L’industrie du minage crypto offre une autre forme de subvention aux producteurs d’énergies vertes. 

Le meilleur exemple d’un tel phénomène est celui du parc national de Virunga au Congo, qui a décidé de miner du Bitcoin grâce aux ressources à leur disposition, principalement des terres et des installations hydroélectrique. D’après le World Wide Fund, la forêt de Virunga représente le second poumon de la planète derrière l’Amazonie. Or le gouvernement congolais ne participe qu’à hauteur d’1% dans le financement du parc. Ajoutez à cela plusieurs épidémies (Ebola, Covid 19), des lockdowns généralisés et de nombreuses tueries du fait de rebelles opérant dans la région, vous avez le cocktail parfait pour faire mourir ce parc. C’est pourquoi les autorités de Virunga se sont lancées dans le minage de Bitcoin. 

Dans un article pour le MIT Technology Review, Emmanuel de Merode, le directeur du parc depuis 2008 révèle que : 

Les revenus liés à la vente de Bitcoin nous aident à payer les salaires des employés du parc, ou bien a financer des projets d’infrastructures comme des routes ou des stations de pompage d’eau. (…) 

Il estime d’ailleurs à 500 000 dollars les revenus liés au minage sur l’an dernier, alors que les activités touristiques, covid oblige, étaient au point mort. En outre, le parc national de Virunga a touché 1,2 millions de dollars grâce à un partenariat avec Christie’s pour une vente de NFT baptisée CyberKongz, laquelle capitalisait sur la renomée des NFT de singes, bien connu dans l’écosystème. Emmanuel de Merode l’admet humblement :

C’est ce qui nous a permis de passer la période du Covid.

Une solution gagnante, donc. 

Un autre projet d’envergure qui mérite d’être mentionné dans cet état des lieux, c’est celui révélé par le Bitcoin Magazine le 12 janvier. Generation Hemp Inc., un des principaux processeurs de chanvre aux Etats-Unis, s’est rebaptisée Evergreen Sustainable Enterprises Inc., tout en annonçant une nouvelle orientation stratégique pour ses opérations. Leur premier projet sera une ferme de minage de Bitcoin basée au Costa-Rica. 

Après avoir racheté via leur succursale, Cryptorica LLC, 80% des part de la société Toro Energía qui possède un barage hydro-électrique proche de San Jose, Evergreen Sustainable Enterprises Inc. compte bien tirer profit de cette énergie renouvelable et bon marché pour miner du Bitcoin. Ce projet n’est pas sans rapport avec la récente chute des prix du matériel de minage professionel causé, entre autres, par la faillite d’acteurs tel que Core Scientific qui, trop endettés, revendent à perte leurs machines, pour le plus grand bonheur des nouveaux entrants. 

 

Voilà, en somme, où en est l’industrie du minage de Bitcoin en ce début d’année 2023. Une industrie sous pression, donc, mais dont l’agilité des acteurs en favorise l’épanouissement toujours plus innovant.