NFT Paris 2023 – reportage (2/2)

Paul Guillot
| 8 min de lecture

Se félicitant d’un total de 18 000 visiteurs sur ces deux jours dédiés à l’écosystème NFT et aux individus qui en sont les rouages, le compte Twitter officiel de NFT Paris dresse un bilan d’ensemble très positif. Pour reprendre leur formule : “La logistique doit être améliorée, mais la Révolution ne peut être arrêtée.”

George Bileca, PDG de Voxel Achritects, lors de sa présentation “The Metaverse Uncensored” à NFT Paris 2023.

Voici un compte rendu de la seconde journée de l’évènement, qui s’est terminé officiellement hier 25 février à 19h.

Un deuxième ministre

Après M. Jean-Noël Barrot, voici venir Mme Rima Abdul Malak, ministre de la Culture. Sur son compte Twitter, elle partage une vidéo prise lors de sa venue et justifie sa présence comme suit : 

Au salon @nft_paris, un rendez-vous Web3 devenu incontournable. Découverte d’univers créatifs où se mêlent art numérique, jeu vidéo, intelligence artificielle et technologie blockchain. Pour mieux comprendre les potentialités de ces innovations pour les établissements culturels. 

 Évidemment, la scène principale ne pouvait contenir toutes les personnes qui auraient souhaitées assister à son allocution, laquelle a marqué l’ouverture de cette deuxième journée. Mais ces dernières, qui se sont contentées de l’écouter depuis l’espace dédié à la retransmission des conférences principales, ne sont pas déçues pour autant. Comme en témoigne Corentin, 21 ans, étudiant en deuxième année de Licence de Génie Informatique à Paris.

L’important, c’est surtout qu’elle soit là aujourd’hui, ça montre qu’on est pas juste des guignols et des geek 

Et de poursuivre sur sa lancée, expliquant pourquoi, d’après lui, les NFTs ont leur place dans le domaine culturel et comment cette nouvelle technologie revigore la créativité artistique en lui offrant de nouveaux médiums pour s’exprimer. Comme beaucoup d’autres étudiants, il a bénéficié de la gratuité des tickets. 

Tickets gratuits, étudiants conquis

Si elle a pu faire grogner quelques personnes qui la trouvaient injuste ou d’autres qui blâmaient les étudiants pour l’immense file d’attente – qui avait bien réduit depuis la veille – la gratuité des tickets offerte aux étudiants semble avoir été une stratégie payante. Car si l’opportunité a été saisie par des étudiants déjà bien informés sur le sujet, comme Corentin, elle a aussi permit, dans des conditions uniques, à des étudiants profanes de découvrir cet écosystème qui fait si peur aux gens qui ne s’y intéresse pas. 

C’est le cas d’Emilija, 22 ans, lituanienne d’origine qui, elle, termine son Mastère de Fashion Marketing à l’Université des Arts, à Londres, et qui, avant le début de cette conférence, ne savait pas ce qu’est un NFT ou quelles sont les relations de cet écosystème fleurissant avec l’industrie de la mode et du luxe. 

Elle a notamment apprécié son passage au stand des Women in Web3 , et sera de celles qui participeront aux ateliers éducatifs qu’organise ce collectif – évidemment constitué sous forme de DAO – à Londres. Emilija, qui veut lancer sa start-up dès le mois de mai prochain, explique qu’en faisant les recherches préalables à la concrétisation de son projet, elle a senti que :

  Si je commence à construire mon business maintenant, il faut que je m’intéresse au Web3, et que j’essaie d’intégrer certaines technologies liées à la blockchain, parce que si je ne le fais pas maintenant, mon modèle économique sera condamné à devenir obsolète rapidement.

Quant à la raison qui l’a décidée à traverser la manche, outre l’entrée gratuite, c’est, de son aveu, la Fear Of Missing Out (FOMO) qu’elle éprouvait. Car cela faisait plusieurs mois qu’elle entendait parler de ce secteur. 

Peut-être est-ce l’effet Rishi Sunak, Premier ministre du Royaume-Uni et champion du Web3, qui par ailleurs ne montre nulle intention de laisser la France devenir ce qu’elle semble être de plus en plus, c’est à dire le territoire européen d’élection pour l’établissement des entreprises Web3

Industrie du luxe, NFTs, quels liens ?

Des liens forts. Certes. Mais forts étranges, aussi, et qui relèvent presque du paradoxe. C’est du moins ce que pense le Professeur Frédéric Godart, enseignant à l’INSEAD, dont la présentation (The use of NFTs in luxury and fashion: State of the art, and what’s next?) s’est ouverte sur les statistiques suivantes, réalisées par CoinGecko. 

Il est donc clair, d’après ce graphique, que l’industrie du luxe est la plus engagée dans le secteur des NFTs. Et pour Frédéric Godart, c’est un fait établi (mais peu évoqué car il froisse les intéressés) que l’industrie du luxe est conservatrice ; que l’innovation, en d’autres mots, n’est pas son fort. 

La mode et le luxe sont leaders dans l’innovation, mais seulement quand il s’agit des NFTs. Alors que cette industrie est connue pour ses relations conflictuelles avec l’innovation…

Le luxe a une relation privilégiée avec de nombreux artisanats, certes. Or, c’est souvent qu’on a vu, par le passé, un artisanat disparaître au profit d’une innovation. Prenez la photographie. Avant l’avènement du numérique, les photographes travaillaient en laboratoire pour développer et imprimer leurs photos ; aujourd’hui, les imprimantes numériques ont largement remplacé ce métier, ces techniques artisanales. 

Mais l’industrie du luxe, par la manne financière qu’elle engrange et l’importance qu’elle accorde au “pouvoir de la signature”, a permis la sauvegarde de nombreux artisanats, tels que la marqueterie, l’ébénisterie, l’horlogerie ou encore les vêtements cousus à la main. Ainsi, de cette industrie, providentielle pour certains artisanats et méfiante des innovations dites “disruptives”, on aurait pu s’attendre à une attitude, sinon farouche, du moins réservée à l’égard de l’innovation majeure que sont les NFTs. 

Ainsi, suivant le raisonnement de M. Godart, l’industrie du luxe n’aurait pas dû être celle, parmi tant d’autres, à jouir d’affinités électives avec les NFTs. Et c’est là que le professeur nous enseigne une autre façon de voir les choses, un point de vue qui, si épousé, semble résoudre le paradoxe artisanat/innovation. 

Les NFTs, en somme, reposent sur des codes, des programmes informatiques. Et si l’on veut penser de manière constructive la relation entre le luxe et les NFTs, il nous faut considérer le codage comme un artisanat à part entière. 

Le codage ne remplit il pas, après tout, la condition commune à tous les artisanats, qui est d’effectuer une tâche manuellement ?

Enfin, outre ces considérations d’ordre académique, pour Frédéric Godart, la relation des NFTs et de l’industrie du luxe est salutaire pour cette dernière, tout en étant essentielle au développement de ces premiers. Comme il le dit : 

La notion de créativité illimitée apportée par les NFTs répond à une profonde crise de la créativité artistique. 

Un certain contraste

Oui, difficile de ne pas le voir. Car ces 24 et 25 févriers, alors que NFT Paris bat sont plein, de funestes nouvelles viennent d’Amérique inquiéter certains des participants les mieux informés. 

Entre ce qui ressort des discours concernant le monde des cryptos tenus par des officiels américains versus ceux qu’on entend sur le Vieux Continent, et en France notamment, l’écart se creuse. La France, qui est le berceau de cette conférence NFT Paris et de nombreuses entreprises cryptos de premier plan (Ledger), le sait bien et, par la voix de Jean-Noël Barrot, son ministre délégué chargé de la Transition numérique, elle s’affirme comme :

La place la plus dynamique pour l’écosystème Web3 en Europe, et probablement dans le monde.

Outre-Atlantique en revanche, le secteur des cryptos et des NFTs accuse le coup porté, la semaine dernière, par le juge fédéral de l’état de New York, Victor Marrero, à l’encontre de Dapper Labs Inc, société derrière les célèbres NFTs NBA Top Shot Moments, et Gary Gensler, le chef de l’autorité des marchés financiers américaine, la fameuse SEC, a récemment déclaré que 

ces jetons [tous les crypto actifs excepté Bitcoin] sont des titres financiers car il y a un intermédiaire et que le public anticipe des profits basés sur ledit intermédiaire.

Gary Gensler ; 33ème et actuel Président de la Securities and Exchange Commission.

Une mauvaise nouvelle pour l’avantage compétitif déjà acquis des Etats-Unis ? Nul ne le sait.

 Ce qui est certain, c’est que NFT Paris a été, dans l’ensemble, un succès, et que, étant un thermostat commode pour prendre la température de l’écosystème Web3, on peut conclure en disant, comme on dirait d’un enfant, qu’il grandit et qu’il est en bonne santé.