Pourquoi le plus ancien parc national d’Afrique parie gros sur la crypto ?

Paul Guillot
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C’est une première ! Le parc national de Virunga, en République Démocratique du Congo, dans l’espoir menacé de sauvegarder la biodiversité dont il est garant depuis presque cent ans, s’est muni de sa propre ferme de minage de Bitcoin. Preuve que les institutions du siècle dernier ne craignent pas d’innover. Une initiative qui jette dans l’incompréhension bon nombre de personnes. Car, à première vue, quel rapport entre la cryptomonnaie et la protection de l’environnement ? 

Minage de crypto actifs et développement durable 

A priori, ils ne font pas bon ménage. Le minage de cryptomonnaie étant une pratique extrêmement énergivore, on voit mal comment cette industrie pourrait être, sinon bénéfique, du moins cohérente, avec les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) définis par l’Organisation des Nations Unies.

Les chercheurs M. J. Krause et T. Tolaymat, ont estimé que, sur la période qui s’étend de janvier 2016 à juin 2018, le seul minage des jetons BTC, ETH, Litecoin et Monero est responsable de l’émission de 3 à 15 millions de tonnes de gaz à effet de serre ; pour vous donner un ordre d’idée, dites vous qu’un pays tel que l’Afghanistan émet 7.44 millions de tonne de CO2 par année.

 Alors comment concilier une industrie si avide d’énergie aux objectifs de développement durable ? 

Aujourd’hui, la principale solution à ce dilemme, c’est d’utiliser plus d’énergies renouvelables pour répondre aux besoins en électricité de ces ordinateurs parqués en batterie et qui calculent sans arrêt. 

Même si l’ensemble de l’industrie du minage ne peut être réduite au simple fait de transformer des quantités astronomiques d’énergies fossiles en Bitcoin, notamment du fait des nombreuses installations de minage qui reposent sur l’hydroélectrique, que ce soit au Canada ou en Chine – ou encore en République Démocratique du Congo, dont nous détaillerons l’exemple plus loin – force est d’admettre que, depuis ses origines, le minage a été une activité très polluante

Néanmoins il ne faut pas négliger les efforts qu’on fourni les acteurs de cette industrie à l’échelle globale pour trouver des solutions à ce problème. Les chiffres révélés dans le dernier rapport du Bitcoin Mining Council va dans ce sens, puisqu’il indique qu’au second semestre de l’année 2022, la proportion d’énergies décarbonées dans le mix énergétique utilisé pour le minage de Bitcoin a atteint 59,5%. On peut y lire que :

 (…) le mix électrique durable de l’industrie mondiale de l’extraction de bitcoins est désormais de 59,5% ou a augmenté d’environ 6% d’une année sur l’autre, du deuxième trimestre 2021 au deuxième trimestre 2022. Ce qui en fait l’une des industries les plus durables au monde. »

Néanmoins, outre l’aspect de la consommation massive en électricité, et faisant fi de ce qu’elle provienne de sources fossiles ou renouvelables, un des principaux arguments tenus par celles et ceux qui s’opposent cette industrie tient en ce que, de leur point de vue, le Bitcoin est une innovation inutile. N’apportant pas de réelle plus-value à la société, ils ne voient pas l’intérêt de mobiliser des ressources énergétiques pour maintenir son fonctionnement. 

Un raisonnement que dément le projet mené par le plus ancien parc national d’Afrique, situé en République Démocratique du Congo et dont l’existence remonte à 1925. 

Virunga, un modèle de minage éco-social

En février 2020, le conservateur du parc national de Virunga, Emmanuel de Merode, faisait la connaissance du fondateur de Big Block Green Service, une entreprise française qui conçoit, produit et livre “clefs en mains” des fermes de minage éco-responsables. 

De leur rencontre naîtra le projet d’utiliser l’énergie hydroélectrique produite par le flux des rivières qui serpentent le parc afin d’alimenter les ordinateurs qui mineront du Bitcoin. Un projet gagnant gagnant, semble-t-il, car Big Block Green Services ne fait que racheter le surplus d’électricité produit par les systèmes hydroélectriques du parc Virunga qui, avant lui, ne trouvait pas d’acheteur. 

Aussi faut-il préciser qu’à cause des conflits quasi constant dans la région entre divers groupes rebelles et les autorités du pays, sans oublier les effets néfastes du virus Ebola, ni ce négligeable 1% du budget total du parc alloué par le gouvernement, les finances de Virunga était au plus mal. Et à cette époque le Covid commençait juste de se déclarer. Avec plus de 40% des revenus du parc provenant du tourisme, c’était le moment de parier gros ; Emmanuel de Merode l’a fait. 

Bien que le Bitcoin ne soit pas, comme on l’a vu, associé à la conservation de la biodiversité – ce serait plutôt le contraire – Emmanuel de Merode a choisi, ici, de l’intégrer dans un plan plus large qui vise à ce que les précieuse ressources hydroélectriques et territoriales du parc de Virunga profitent tant aux populations locales qu’au bon maintien du parc. 

C’est en septembre 2020 que le premier Bitcoin de Virunga a été miné. Et par la suite, concède Emmanuel de Merode :

Le cours du Bitcoin s’est envolé. Nous avons eu de la chance – pour une fois.

A cette époque, un BTC valait alentour de 10 000 dollars. Cinq mois plus tard, en mars 2021, le jeton roi s’échangeait pour environ 44 000 dollars ; durant ce mois, le parc Virunga a obtenu environ 150 000 dollars grâce à sa mine, soit l’équivalent de ce que rapporte le tourisme en haute saison. 

Aujourd’hui la ferme de minage du parc national compte dix conteneurs, chacun accueillant entre 250 et 500 machines. Trois d’entre eux appartiennent au parc, quand les sept autres sont la propriété de l’entreprise de Sébastien Gouspillou. 

Le conservateur de Virunga estime à  500 000 dollars les revenus générés par la mine de sur l’année dernière. Mais ce n’est pas tout. Grâce à un partenariat sur le projet de NFT CyberKongz qui capitalisait sur la popularité des primates non fongibles, le parc a perçu 1.2 millions de dollars suite à la vente aux enchères organisée par Christie’s de NFT de gorilles

Peu importe que le Bitcoin a perdu 70% de sa valeur sur l’année dernière car, en somme, Emmanuel de Merode considère que : 

C’est un excellent investissement pour le parc. Nous ne spéculons pas sur sa valeur, nous en générons. Si vous achetez du Bitcoin et que sa valeur diminue, vous perdez de l’argent. Nous, nous produisons du Bitcoin grâce à un surplus énergétique et nous monétisons une ressource qui, autrement, n’a aucune valeur.

Même si le Bitcoin chutait à 1% de sa valeur actuelle, la mine du parc de Virunga serait toujours rentable. De quoi faire réfléchir !