Que retenir de la lettre ouverte des patrons du Web3 français ?

Paul Guillot
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Entre la lettre ouverte au gouvernement Macron publiée ce 9 janvier et leurs prises de positions précisées lors d’un live LinkedIn deux jours plus tard, que faut-il retenir des idées, propositions ou plans concrets exprimés par cinq des acteurs parmi les plus prometteurs de l’écosystème Web3 européen, voire mondial ? 

“Faisons de la France un acteur majeur du Web3”

Tel est l’intitulé choisi par les auteurs de la lettre. S’adressant à leur gouvernement par le truchement du média The Big Whale, Sébastien Borget (The Sandbox), Pascal Gauthier (Ledger), Pierre-Nicolas Hurstel (Arianee), Nicolas Julia (Sorare) et Frédéric Montagnon (Arianee) appellent à en faire plus pour soutenir l’écosystème Web3, et notamment via les outils de la puissance publique. 

Née de la réflexion suscitée par les déclarations du Ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, qui appelait, l’automne dernier – peu de temps avant le naufrage de FTX – à “faire de l’Europe la première zone économique mondiale en matière de structuration et d’organisation du marché des crypto actifs et de la France le hub européen de cet écosystème.”, cette lettre est en somme un appel à prendre des décisions fortes en ce sens. 

Pierre-Nicolas Hurstel, co-fondateur de Arianee, la place d’échange de NFT de référence pour les industries du luxe et de la mode, a expliqué lors du live LinkedIn que :

Si l’on veut être une terre de Web3, il faut être une terre où il y a des utilisateurs du Web3 ! 

En effet, la France, tout comme de nombreux pays aux industries de FinTech prometteuses, ne bénéficie pas d’un vivier d’internautes assez important pour enclencher un processus dynamique et vertueux de développement de l’écosystème. En termes économiques cela veut simplement dire que le marché n’est pas encore mûr, car il manque de consommateurs

Mais, poursuit Pierre-Nicolas :  

On n’est pas entrain de râler. On est là pour apporter une vision positive d’une opportunité de marché incroyable, qui répond à des annonces positives et ambitieuses.

Son message est on ne peut plus clair : l’industrie française du web3 n’a pas besoin de subventions quelconques de la part de l’Etat ; elle est qui plus est favorable à son encadrement par loi européenne, afin de protéger les consommateurs, notamment dans le cadre du projet de loi MiCa poussé par la France lorsqu’elle exerçait la présidence du Conseil européen, dont les effets rentreront en vigueur en 2024 – 2025. 

Digitaliser la carte grise”

Voilà la proposition fortuite et néanmoins sensée que propose Pierre-Nicolas Hurstel, en direct sur LinkedIn depuis son smartphone, embarqué dans un taxi traversant Paris. Très sérieusement, la patron d’Arianee poursuit son argument selon lequel la puissance publique pourrait doter d’un véritable avantage stratégique son industrie Web3 afin d’en faire un fleuron de son économie, simplement en digitalisant n’importe quel document officiel et reconnu par l’état. 

Selon lui, il existe aussi une logique imparable et fondée qui commanderait la digitalisation de tels documents. Leur numérisation et par la suite leur détention individuelle dans des wallets va en effet de pair avec les avantages offerts par la technologie blockchain : traçabilité, sécurité, inviolabilité, immuabilité, etc. Le gouvernement pourrait assez facilement s’approprier cette technologie, et, selon les mots du patron d’Arianee, “créer les conditions d’une prise en main générale” de ces nouvelles technologies. Ainsi l’écosystème français et européen aurait un atout de taille. 

Et Pierre-Nicolas Hurstel de réagir à un commentaire qui propose de faire de la carte vitale un NFT : 

D’un seul coup c’est plus de 20 millions de français qui ont accès à un wallet

Rappelons qu’un wallet blockchain, ou porte-feuille de cryptomonnaies, est le premier pas dans l’univers toujours plus varié du Web3. Il permet à l’internaute d’envoyer, recevoir et stocker des crypto actifs tels que l’ETH ou le BTC aussi bien que des NFT ; en outre il permet à son utilisateur de naviguer sur les DApp (applications décentralisées), lesquelles sont au Web3 ce que des applications comme Instagram, Twitter, Amazon ou Google sont au Web2. 

Une reconnaissance du droit à la propriété numérique

Sebastien Borget, patron de The Sandbox, un métavers construit sur la blockchain Ethereum qui permet à ses utilisateurs de créer, partager et monetiser des biens numériques intrinsèques au métavers et à ses diverses expériences de jeu, se concentre pour sa part sur les cadres légaux susceptibles de rendre les NFT et la propriété numérique aussi commun qu’une console de jeu vidéo.  

Selon Sebastien Borget, la reconnaissance de cette propriété numérique par les instances légales du pays, ainsi que le droit des individus à cette propriété, permettrait un éventail de possibilités multiples :

Au même titre que la propriété d’un bien physique permet le développement d’une économie autour de ce type de biens. 

Ainsi le développement des activités liées aux NFT, aux métavers et aux avatars, qui en retour produit du travail et capte des financements, pourrait fleurir comme n’importe quelle autre industrie, sans avoir à se soucier des statuts particuliers que les actifs numériques pourraient avoir auprès des autorités financières, des banques et du gouvernement. 

Outre son insistance sur la propriété numérique et la nécessité que le gouvernement statue à ce sujet, le patron de The Sandbox, rappelle un point essentiel de la lettre ouverte qu’il a co-signé. 

Utiliser des crypto actifs, c’est se rendre indépendant des plateformes, c’est … une architecture où chaque utilisateur possède et contrôle sa donnée, et où une entreprise ne peut pas construire un monopole en mettant la main sur l’ensemble des données des utilisateurs ni en limiter leur usage en dehors.

La sécurisation des données des internautes est depuis longtemps un sujet sensible. En dépit des tentatives de régulation telles que celle de l’Union européenne via de lourdes amendes infligées aux Gafam (le record étant détenu par Google qui, en 2017, avait dû payer une amende de plus de 2 milliards d’euros), la souveraineté numérique n’est pas encore acquise. 

Sur ce point, le Web3, les pratiques des individus qui composent cet écosystème de même que les modalités d’interactions entre ces derniers, promettent des progrès considérables. Encore faut-il qu’une éducation à ses usages nouveaux soit dispensée.