Pascal Gauthier, PDG de Ledger : “Nous irons jusqu’au bout pour sortir Stax”

Yann-Olivier Bricombert
| 6 min de lecture

Helsinki n’est pas connue pour être un hub crypto. Pourtant c’est bien dans la capitale finlandaise que se tient pendant deux jours la conférence Slush, l’un des évènements de la tech devenus incontournables en Europe. Au milieu des 5000 startups présentes au Messukeskus, Pascal Gauthier, le PDG de Ledger, est venu prêcher la bonne parole sur la nécessité de sécuriser ses cryptos.

Ledger, fleuron français de la crypto dans le monde


La licorne française, qui a connu une année 2023 semée d’embuches, avec un plan de licenciements de 12% de ses effectifs, une polémique sur le lancement de son dernier service Recover, et un retard dans la fabrication de son wallet Ledger Stax, maintient le cap. Pascal Gauthier a répondu aux questions de Cryptonews, c’est “L’interview de la semaine”.

Dans le public présent aujourd’hui pour votre intervention à Slush, peu de personnes ont levé la main quand vous avez demandé qui détenait de la crypto ou une clé Ledger, alors que c’est pourtant un évènement phare de la tech en Europe. Est-ce le signe que le “bear market” est toujours d’actualité ?

Cela n’est pas lié au bear market. J’ai vu 20 à 30% du public lever la main, ce qui veut dire que la crypto n’est pas encore majoritairement adoptée. La crypto aujourd’hui est là où le web se trouvait en 1995-1997. Quand on regarde les courbes d’adoption du web, il y avait environ 100 millions d’utilisateurs à cette époque. Ce sont les mêmes chiffres aujourd’hui en crypto : environ 110 millions de personnes possèdent leurs propres clés privées et interagissent avec les protocoles blockchain.

Le secteur crypto a connu une année 2023 marquée par les scandales, entre les suites de l’affaire FTX, ou plus récemment les procédures contre Binance aux Etats-Unis…

(Il coupe.) Cela n’a rien à voir. FTX, c’était de la fraude et du vol. Binance n’a pas volé les fonds de ses clients. La fraude et le vol ce n’est pas la même chose que les règles financières mondiales imposées par les Etats-Unis. Dans un cas, il y a SBF (Sam Bankman-Fried) qui va en prison, et de l’autre il y a Binance qui paie des amendes.

Il faut se rappeler que BNP Paribas a payé une amende de 9 milliards de dollars dans un sujet assez proche, preuve que cela arrive à des institutions financières très réputées. Binance a sans doute fait des erreurs, en jouant dans des zones grises, mais c’est difficile quand tu es une jeune entreprise qui essaie de gagner des parts de marché.

Il y a un mois vous lanciez officiellement votre service payant et optionnel de récupération de clés privées, “Ledger Recover”, après un certain nombre de critiques d’une partie de la communauté crypto. Quel premier bilan commercial tirez-vous de ce lancement ?

Ca marche bien. On l’a lancé “soft”, le temps de prendre nos marques, sans mettre du Recover partout sur l’application Ledger Live. Nous sommes maintenant en train de le déployer progressivement, en corrigeant et en améliorant l’expérience et l’interface utilisateur.

Cela représente combien de clients ?

On ne communique pas là-dessus, mais ça marche très bien.

Qu’est-ce ces critiques vous ont appris en interne et que vous pourrez améliorer ?

Le premier enseignement positif c’est qu’on doit communiquer de manière plus directe et claire en amont d’un projet. L’autre enseignement, c’est que ce n’est pas forcément “l’angry mob” (foule en colère) de Twitter qui a raison. Le problème quand tu veux impacter un marché, c’est que tout le monde n’est pas CEO d’entreprise… tout comme tout le monde n’est pas sélectionneur de l’Equipe de France en foot.

Cette histoire a donné l’impression que Ledger avait fait une faute ou que beaucoup de clients se plaignaient, alors que ce n’est pas ce qui se passe dans les faits. Notre chiffre d’affaires progresse de façon significative, la marque Ledger n’a pas bougé, et pour tous ceux qui arrivent sur le marché, ils ont avec Recover un produit qui leur convient mieux et qui les rassure.

Et le troisième enseignement, c’est que quand tu as des convictions qui peuvent apporter un changement positif sur le marché, il faut les faire et ne pas se laisser intimider. Il faut corriger vite et savoir s’excuser quand on fait des erreurs, mais il ne faut pas avoir peur des retours qui peuvent être violents.

Il y a un an, à votre évènement Ledger Op3n, vous présentiez Stax, votre nouveau wallet au format carte bancaire avec écran à encre électronique, ouvert aux pré-commandes. Douze mois plus tard, il n’est toujours pas sorti d’usine, que s’est-il passé ?

L’écran “E Ink” est beaucoup plus difficile à faire que ce qu’on pensait. Les prestataires nous avaient assurés que ça allait être facile, en fait c’est dur. Le hardware, surtout quand on veut faire des produits très novateurs, est encore plus difficile. Mais on a bon espoir de le faire.

Vous avez une date de sortie ?

On préfère ne pas s’avancer sur une date, mais nous allons publier une vidéo pour tout expliquer, comme on l’a toujours fait, en toute transparence. Tout le monde peut se faire rembourser, mais il y a très peu de demandes. Je lis parfois sur Twitter qu’on gagnerait de l’argent avec les pré-commandes, ce qui est évidemment faux. La plupart des gens comprennent bien et attendent le jour où ce sera prêt, un peu comme on peut le faire sur une plateforme comme Kickstarter, ou encore avec le truck d’Elon Musk.

Fallait-il garder cette technologie ou changer de plan ?

En hardware, la question ne se pose pas vraiment comme ça. Tu ne peux pas changer de technologie, tu dois recréer un nouveau produit. Ton téléphone, qui est largement incurvé sur le côté, si tu veux qu’il soit plat ou encore plus incurvé, c’est un autre produit qu’il faut créer.

Et quand tu fais un programme comme celui-là, ce sont des millions d’euros. Changer c’était devoir créer un nouveau produit. On pense qu’on va réussir à le faire, on va insister jusqu’au bout. Mais on n’a pas que ce produit-là en tête. En 2024, d’autres nouveautés hardwares de Ledger sortiront sur le marché, de manière garantie.

Dans l’usine de Ledger, à Vierzon.

Quels sont vos objectifs pour 2024 ?

Faire la même chose, mais mieux : de meilleurs hardwares, de meilleures intégrations softwares, une meilleure plateforme pour les développeurs, de meilleurs services pour les entreprises… On a construit pendant deux ans, l’idée maintenant c’est d’améliorer sans cesse les services.

En terme de ventes, combien de clés Ledger (Nano S plus et X) avez-vous vendu au total ?

Plus de 6,5 millions à ce jour. Sachant que, sur Ethereum, seulement 7 millions de personnes ont plus de 160 dollars. Donc vendre 6,5 millions de clés Ledger sur un marché de 7 millions… Je pense qu’on a plutôt fait le job.


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