«Le Bitcoin ne fera pas rôtir la planète»

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Photo: iStock / bagi1998

Dans une tribune au Journal «Le Monde» Sébastien Gouspillou, entrepreneur de blockchain, réfute les accusations de surconsommation dʼénergie dont fait lʼobjet lʼindustrie du bitcoin.

Deux études publiées dans les revues Nature Climate Change à la fin dʼoctobre et dans Nature Sustainability le 5 novembre font froid dans le dos. La première nous annonce un réchauffement climatique dû au seul bitcoin. La seconde se contente dʼaffirmer que le bitcoin produit trois fois plus de CO2 que lʼextraction de lʼor. Fort heureusement, ces deux exercices ne résistent pas à un examen approfondi.

La première étude fait une extrapolation inappropriée, ridicule pour qui connaît un tant soit peu le fonctionnement du bitcoin. En effet, elle détermine une consommation par transaction à un moment T et estime que si le nombre de ces transactions se multiplie, la consommation électrique du réseau augmentera en proportion. Cela revient à dire que la consommation de lʼéclairage dʼune route sur laquelle passent 100 voitures par heure va être multipliée par 10 si ce sont 1 000 voitures par heure qui passent demain. Lʼhypothèse de départ étant erronée, la conclusion de lʼétude est fausse, sans surprise.

La seconde étude tente de démentir une évidence : lʼextraction de lʼor consomme 130 térawattheure (TWh), le bitcoin moins de 50 TWh. Et lʼextraction de lʼor a des conséquences autres que sa seule consommation électrique : acides, mercure, esclavage, guerre, destruction des paysages.

Empreinte environnementale

Les « études » dénonçant lʼempreinte environnementale du bitcoin se sont multipliées depuis 2013, permettant des titres sensationnels comme celui, risible, dʼun Newsweek de novembre 2017: «Bitcoin consommera toute lʼénergie mondiale dʼici à 2020».

A la décharge des relais de ces études biaisées et des lecteurs qui sʼindignent de ce gâchis énergétique supposé, il est clair que cette consommation, considérable, peut apparaître comme un gaspillage flagrant si le bitcoin ne sert à rien. Certes, pour nous, la finalité du bitcoin est difficile à appréhender : nous avons des moyens de paiement satisfaisants, des monnaies solides et des institutions démocratiques qui ont notre confiance.

Mais nous ne représentons quʼune petite partie de la population mondiale. Pour comprendre lʼintérêt du bitcoin, Il faut savoir que près de 40 % des adultes de cette planète nʼont tout simplement pas de banque, pas de moyen de paiement, aucune possibilité dʼentrer dans une mondialisation dont ils ne perçoivent que les effets néfastes. Ce chiffre hallucinant met en évidence lʼéchec de la microfinance et de ses tentatives dʼinclusion financière. Il faut savoir aussi que 33 % de la population mondiale vit sous la coupe dʼun dictateur et de sa monnaie, manipulable, gonflable à lʼinfini et surtout, confiscable.

Le bitcoin a du sens

Enfin, il faut réaliser que nos monnaies solides sont des exceptions :

Selon le président de lʼUS Commodity Futures Trading Commission, Chris Giancarlo, les deux tiers des monnaies fiduciaires ne valent pas le papier sur lequel elles sont imprimées. Alors pour tous ces gens sans banque, ou hors démocratie, pour ceux qui voient leur monnaie se déprécier jour après jour, le bitcoin a du sens, le bitcoin ne sert pas à rien.

Pour aller plus loin, il faut admettre que si la « preuve de travail » – cʼest-à-dire lʼutilisation par les « mineurs » dʼune forte puissance de calcul pour sécuriser les transactions – est énergivore, elle offre une sécurité totale qui détermine la valeur même de lʼactif bitcoin ; lʼinfrastructure dʼores et déjà construite est pratiquement suffisante pour que la blockchain du bitcoin devienne le socle dʼune nouvelle finance mondiale, avec ses réseaux en surcouche et de multiples sidechains (chaînes collatérales, permettant des microtransactions sans encombrer la blockchain principale).

De fait, la consommation nʼévoluera pas en proportion de lʼadoption, le bitcoin ne fera pas rôtir la planète. Ce qui a fait augmenter la puissance de calcul du réseau jusquʼalors, cʼest le cours du bitcoin, pas le nombre de transactions, même si historiquement les deux sont indirectement liées. Voilà ce que lʼon observe jusquʼalors : le cours augmente, la récompense des mineurs augmente, ils ont les moyens dʼinvestir dans plus de puissance de calcul pour accroître leur chiffre dʼaffaires. Donc, la puissance électrique du réseau augmente.

Puissance du réseau bitcoin multipliée par 10

Cette mécanique nous est présentée comme un principe immuable alors quʼelle nʼa pas vocation à être éternelle, puisquʼelle se heurte à une réalité physique : la disponibilité de lʼélectricité pour le bitcoin nʼest pas extensible à lʼinfini. Le bitcoin nʼimpose pas son besoin dʼélectricité au monde, il demande aux compagnies productrices, souvent dʼEtat, de pouvoir utiliser des kilowattheures (kWh) disponibles, voire perdus, donc bon marché. Ces compagnies déterminent ce quʼil est raisonnable dʼattribuer à ce gros acheteur de courant à prix « discount », interdisant de fait tout développement quand la limite est atteinte : on assiste à ce phénomène au Québec ou en Géorgie.

On a vu la puissance du réseau bitcoin être multipliée par 10 en un peu moins dʼun an, car lʼoffre électrique le permettait ; mais ça ne pourrait plus se produire aujourdʼhui. Pour augmenter la puissance de calcul en proportion dʼune forte augmentation des cours, il faudra recourir à lʼamélioration de lʼefficacité énergétique des machines et à la création de nouvelles sources de production électriques partagées et cofinancées par le mining (minage).

Cette activité permet dʼores et déjà dʼapporter une source de rentabilité à des projets de production électrique durable, en assurant sur site, où quʼil soit et quelle que soit sa taille, un « talon » – un socle minimal de consommation garantie ; aucune autre industrie ne peut faire cela, le « mining » se positionne donc comme un moteur de la transition énergétique, à lʼinverse de lʼimage destructrice quʼon lui prête.

Le bitcoin répondant à un besoin majeur et étant là pour durer, il apparaît plus pertinent de tirer avantage de cette demande électrique nouvelle que de se faire peur avec des études catastrophistes ou que dʼattendre un protocole miracle supposé remplacer le principe éprouvé de la « preuve de travail ». De lʼimportance de comprendre un phénomène avant de tenter dʼen envisager les conséquences…

Cet article a été écrit par Sébastien Gouspillou, CEO de BigBlock Data Center (spécialiste du calcul blockchain) et a été publié en premier sur le site du journal Le Monde et utilisé ici avec son accord et celui de son auteur.

Avertissement : Cette chronique ne reflète pas nécessairement l’opinion de CryptonewsFR et ne constitue en aucun cas des conseils à l’investissement ni des consignes de trading.

Sébastien Gouspillou, PDG de Bigblock Datacenter / Photo personnelle