Russie : un rouble numérique pas avant 2025

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Le projet de monnaie numérique de banque centrale (CBDC) de la Banque centrale de la Fédération de Russie (CBR) a été officiellement lancé en 2020. Il faudra néanmoins attendre au moins 2025 pour voir un rouble numérique se concrétiser, comme l’a récemment révélé la première sous-gouverneure de la CBR, Olga Skorobogatova.

Le calendrier semble toutefois toujours optimiste dans le contexte mondial, car seules 24 CBDC devraient être en activité à l’horizon 2030. Mais pour la Russie qui cherche activement des moyens de commercer à l’international sous la contrainte de lourdes sanctions financières, cela pourrait s’avérer trop lent : bon nombre d’entreprises russes utilisent déjà les crypto-monnaies à l’international.

Un projet de rouble numérique qui remonte à 2017

En 2017, la CBR (Banque Centrale de Russie) avait annoncé son intention d’explorer l’idée d’une monnaie numérique. Une étude a alors été menée, mais le gouverneur de la banque, Elvira Nabiullina, ne considérait pas ce projet comme une priorité absolue, mais plutôt comme un développement à moyen et long terme.

Puis, en 2020, un projet de loi a été lancé et finalement, en 2022, la CBR a révélé qu’elle prévoyait d’introduire le rouble numérique dans toutes les banques du pays d’ici à 2024. Le projet prévoyait alors plusieurs étapes pour sa réalisation et la coexistence de la monnaie numérique avec les moyens de paiement traditionnels.

Un projet pilote devait voir le jour en 2023 avec la participation de 13 banques locales, de commerçants et de consommateurs, mais celui-ci a été retardé. Le cabinet d’audit McKinsey avait alors publié un rapport évaluant à 3,5 milliards de dollars de pertes en commissions et frais pour les banques partenaires sur cinq ans, ce qui avait suscité de larges inquiétudes.  

L’adoption du projet de loi sur le rouble numérique à la Douma a retardé le projet

Prévu dès 2020, le projet de loi a été nécessaire pour tracer un cadre juridique pour le rouble numérique et définir de nombreux termes juridiques clés telles que « plateforme », « participants » et « utilisateurs », tout en décrivant l’architecture générale de l’écosystème de cette CBDC.

Le texte prévoit notamment que la CBR joue le rôle d’opérateur principal de l’infrastructure du rouble numérique et prend en charge la responsabilité de la sauvegarde de tous les actifs stockés. De plus, il restreint l’usage du rouble numérique à une méthode de paiement et de transfert, rendant impossible son épargne sur des comptes d’épargne. Enfin, la loi prévoit que les paiements et virements seront gratuits pour les particuliers, alors que  0,3 % de frais de transactions s’appliqueront aux entreprises.

Finalement, cette loi vient de franchir les travaux de la chambre basse de la Douma (le Parlement Russe) et devrait être très prochainement adoptée de manière officielle.

Une phase de déploiement en 2025 ?

Le 6 juillet dernier, Olga Skorobogatova, la sous-gouverneure de la Banque Centrale russe, en charge du dossier, a fait une série d’annonces sur l’avènement du rouble numérique. Elle a notamment annoncé que chaque citoyen russe pourrait ouvrir un portefeuille de roubles numériques à l’horizon 2025-27, ajoutant que cette devise ne serait pas une crypto-monnaie ou un stablecoin, car pour ces dernières “il n’y a souvent pas d’émetteur ou vous ne les connaissez pas”.

La phase de test est désormais prête et ce sont environ 30 entités (commerces, particuliers, banques) qui essaieront de faire fonctionner l’infrastructure. En 2027, le nombre montera à 1500 pour finaliser les tests et prévoir un déploiement national.

Aleksandre Podobnykh, chef de la filiale de Saint-Pétersbourg de l’Association of Chief Information Security Officers, pense que l’échéance 2025-2027 est réaliste et que l’infrastructure de test est prête à piloter le rouble numérique. Il souligne toutefois la nécessité de mettre à jour la loi fédérale 115, qui régit la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cette loi devra, en effet, s’adapter aux nouvelles formes d’échanges financiers pour aider les agences de surveillance financière à analyser les transactions en rouble numérique.

Il apparait donc clairement qu’un déploiement complet du rouble numérique ne sera pas réellement prêt en 2025. Au mieux, ce sont des phases de test qui seront lancées et si tout se passe bien, le peuple russe pourra disposer de ce nouveau rouble en 2027 ou plus tard. Mais la communication autour de ce projet se veut rassurante et tente de justifier ce délai par des raisons de sécurité.

Ainsi, l’associée principale du cabinet d’avocats russe KKMP, Elena Klyuchareva, est plutôt sereine quant au retard pris par ce projet. Elle estime que ce n’est que la conséquence d’un retard technique pour s’assurer qu’il n’y aura aucun problème à terme.

“L’infrastructure envisagée par la Banque centrale est complexe et doit faciliter, non seulement les transactions en ligne, mais aussi hors ligne et assurer un haut niveau de cybersécurité.” De plus, cette infrastructure doit aujourd’hui s’appuyer uniquement sur des outils et logiciels russes, à cause des sanctions internationales qui empêchent de se fournir à l’étranger.

Le choix de reporter la mise en œuvre de la monnaie numérique russe ne peut pas être vu comme un échec de ce projet, mais plutôt comme le souhait de développer une solution stable et équilibrée, a conclu Elena Klyuchareva.

Dans tous les cas, la Russie n’est pas trop en retard par rapport à d’autres nations. Si elle venait à disposer d’un rouble numérique disponible pour tous ses citoyens seulement en 2027, elle compterait, à n’en pas douter, parmi les nations pionnières en la matière. 

Sources : Gouvernement russe, Reuters