Breakpoint : Interview exclusive avec Austin Federa, chef de la stratégie de Solana

Yann-Olivier Bricombert
| 6 min de lecture

Le rideau est tombé sur la troisième édition de Breakpoint qui s’est achevée vendredi 3 novembre 2023, à Amsterdam comme elle a commencé, par un vent d’optimisme sur la blockchain Solana.

Une édition marquée par de nombreuses annonces, un prix du SOL qui brise ses plus hauts annuels, et un net regain d’intérêt pour l’écosystème affecté il y a tout juste un an par l’affaire FTX, comme le confirme dans un entretien exclusif Austin Federa, chef de la stratégie à la Fondation Solana.

Qu’est-ce que c’est de construire Solana pendant le bearmarket ?

On dit souvent que le bearmarket est une période faite pour développer des choses. C’est facile à dire, mais plus difficile à faire. L’écosystème Solana a fait un travail remarquable en plein bear. On y est encore, ce n’est pas encore derrière nous. Le travail accompli est incroyable, de l’optimisation de la durée d’exécution du réseau, au boost de ses performances, en passant par les applications comme Sling, pour moi il était là le véritable test pour Solana. Est-ce que les gens allaient continuer de développer des choses et rester enthousiastes en plein bearmarket ? La réponse a été oui. C’est assez similaire à ce que la communauté d’Ethereum a dû affronter en 2018.

Solana a été marquée par des interruptions en 2022, moins nombreuses ces derniers mois. Comment avait vous résolu ce problème ?

Toutes ces failles venaient de systèmes qui étaient surchargés. Ce n’étaient pas des failles liées à l’architecture, mais à des systèmes qui recevaient une très grande demande. Une des fois où Solana était à l’arrêt, c’est parce qu’elle avait été abreuvée par 80 gigabytes par seconde de data, ce qui aurait probablement fait crasher pas mal d’applications Web2.

Il y a eu un certain nombre d’améliorations ces 18 derniers mois pour résoudre ces problèmes, notamment le fait d’ajouter un contrôle des flux UDP, ou la mise en place des frais locaux qui, contrairement aux frais globaux d’Ethereum, permettent de limiter l’impact d’une forte demande sur le réseau.

Certains experts crypto qui n’étaient pas fans de Solana ont fait part de leur enthousiasme à l’occasion de ce Breakpoint. Cela vous a surpris ?

La technologie de Solana polarise les débats depuis un petit moment. Mais les personnes qui développaient sur Solana il y a deux ans l’ont fait parce qu’ils n’avaient pas le choix. Et au fur et à mesure qu’elles ont construit, d’autres personnes les ont rejoint.

Cette année, Justin Bons était présent à Breakpoint, ou encore l’équipe de Swissborg, ou encore Rune Christensen de MakerDAO est venu parler de la machine virtuelle Solana (SVM), qui sera peut-être le futur de l’architecture de la sub-DAO de Maker.

C’est une validation très importante pour cette technologie que de voir de plus en plus de personnes réaliser ce qu’il est possible de faire sur Solana. Il n’est pas nécessaire de voir Ethereum échouer pour voir Solana réussir.

Cette année marque aussi l’arrivée dans l’écosystème de plus en plus de stablecoins (USDC, EUROe…) sur Solana. Qu’est-ce que cela dit de l’appétit des grandes institutions pour la crypto ?

On voit de plus en plus d’institutions s’intéresser à lancer des stablecoins sur Solana parce que c’est moins cher que d’utiliser ACH ou des virements bancaires. Un exemple est ce que fait Sling, qui est une application qui permet le transfert d’argent de pair-à-pair, dans une trentaine de pays et dans différentes devises, et de manière quasiment gratuite.

Si vous voulez utiliser des services comme Wise ou WesternUnion, par exemple, cela vous coûtera 5 à 15% de fais pour envoyer de l’argent. Autre exemple, les entreprises paient entre 2,80 à 3,15% à sur les paiements par carte de crédit. Même les cartes de débit facturent des frais de l’ordre de 1%. Les stablecoins peuvent être très disruptifs pour tous ces systèmes existants.

Les NFT compressés ont fait une percée ces derniers mois, comment voyez-vous l’avenir de cette technologie sur Solana ?

Le réseau a dépassé les 100 millions de jetons non-fongibles compressés (CNFT) mintés, alors que la technologie a été lancée cette année. C’est agréable de voir la vitesse à laquelle ils se développent. Ils sont utilisés pour des cas divers : on peut créer des NFT à moindre frais, ou représenter des actifs réels tokenisés (RWA). Avec un peu de recul, on se rend compte d’une chose : lorsque l’on rend les choses incroyablement abordables, qui sait ce qui peut se développer grâce à cela. Personne n’avait imaginé que créer un réseau mobile 3G allait changer la façon dont les gens font des rencontres. Or c’est ce qui s’est passé, avec la technologie.

C’est l’offre qui supporte la demande ?

Oui, car si nous pouvons créer des NFT drastiquement moins cher que ce qui était fait avant, qui sait ce que les gens vont pouvoir construire dessus.

Quelles sont les prochaines étapes pour Solana en 2024 ?

Nous irons à Singapour pour Breakpoint 2024, du 19 au 21 septembre, juste après Token2049 et avant le Grand Prix de Formule 1. La version 1.17 de Solana devrait être déployée d’ici la mi-2024, et inclura des améliorations sur le temps d’exécution avec des primitives à connaissance nulle (zero-knowledge). Firedancer, le premier client validateur pour le réseau, est actuellement en testnet et devrait aussi arriver.

Solana est parfois qualifiée de “blockchain de VC”, est-ce juste de dire qu’elle se décentralise de plus en plus ?

Personne n’a vraiment réussi à déterminer clairement ce qu’est une blockchain de capital-risque (VC). Si vous regardez la consolidation des validateurs clients d’ETH, je pense qu’Ethereum a été l’un des lancements les plus équitables. Vous ne pourriez plus conduire une ICO pareille aujourd’hui. De nos jours vous devez répondre à un nombre important de critères, et vous ne pouvez lever des fonds qu’auprès des grandes institutions. Nous devons faire évoluer la réglementation pour permettre à l’investisseur particulier d’investir tôt dans les projets qu’il apprécie.

Que pensez-vous de la situation globale concernant la régulation aux Etats-Unis, est-ce inquiétant pour l’écosystème ?

Un récent rapport avait indiqué que 49% des développeurs et des fondateurs blockchain ont quitté les Etats-Unis, 10% juste pour l’année dernière, ce qui est très triste. Les Etats-Unis ont toujours été historiquement le meilleur pays pour créer une entreprise de la tech. On voit de plus en plus de fondateurs partir à Dubai, au Japon ou à Singapour, des juridictions pas simplement plus amicales, mais qui ont mis en place un ensemble de règles claires.

Le problème aux US est que nous n’avons pas de règle à suivre. Cela veut dire concrètement qu’il faut au minimum un million de dollars aux US si vous voulez lancer une société crypto et lancer un token. C’est extrêmement cher. J’aimerais qu’il y ait une ligne claire pour permettre aux fondateurs de rester aux Etats-Unis et garder cette technologie libre et ouverte. Et je ne pense pas que cela soit possible si tous les développeurs s’expatrient dans des juridictions peut-être certes amicales pour la crypto, mais sans doute moins pour des systèmes sans permission et libres.

Si les Etats-Unis interdisent la crypto, cela ne va pas tuer la crypto. En revanche, les US doivent rester le meilleur endroit pour créer une entreprise crypto.


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