L’interview de la semaine avec Mounir Laggoune, PDG de la plateforme Finary

Yann-Olivier Bricombert
| 7 min de lecture


Lancée fin 2020, la startup Finary propose un outil pour tracer son portfolio crypto et suivre l’évolution de son patrimoine. Enregistrée PSAN, elle a lancé cet automne de nouveaux produits d’investissement programmé (DCA). L’occasion d’échanger avec Mounir Laggoune, PDG et co-fondateur, sur sa vision du marché, lors de cette nouvelle Interview de la semaine.

Pouvez-vous présenter l’histoire de Finary ? Comment a-t-elle démarré ?

Avec mon associé, on avait un problème, nous n’arrivions pas à suivre notre patrimoine. On avait testé plusieurs banques privées qui n’avaient rien à nous proposer. Il y avait Delta ou Blockfolio, mais qui étaient des services cantonnés à la crypto. On a donc créé une solution pour nous, que l’on a partagée avec des amis. Assez rapidement, des centaines de personnes ont commencé à l’utiliser. En voyant que cela répondait à un vrai besoin, on a décidé d’en faire une vraie entreprise en créant Finary fin 2020.

Mounir Laggoune, PDG et co-fondateur de Finary.

Combien d’utilisateurs utilisent la plateforme aujourd’hui ?

On compte 250 000 utilisateurs qui ont un compte sur Finary, et on agrège 75 milliards d’euros d’actifs, de l’immobilier à la crypto, en passant par les actions, les ETF (trackers), le cash, l’or ou la pierre-papier.

On peut suivre aussi ses emprunts, ses cartes de crédit. Notre croissance est organique, basée à notre communauté. Dès le départ on a fait le choix de nous focaliser sur nos utilisateurs et de travailler le produit avec eux. La plupart des nouveaux utilisateurs nous rejoignent via le bouche-à-oreille, notre forum communautaire ou notre chaîne YouTube.

On a créé un mouvement dont l’ambition est d’aider les Français à mieux investir, parce qu’il y a un vrai problème d’éducation. Je n’ai jamais eu un cours de finances personnelles alors que je suis diplômé d’une école de commerce et de finances.

Je ne crois pas du tout à la gestion déléguée à des tiers. Un bon investisseur c’est quelqu’un qui comprend ce qu’il fait.

L’AMF estime qu’un million de Français ont commencé à investir entre le premier et le deuxième confinement en actions. Une autre étude montre que les nouveaux investisseurs “Covid” détiennent plus de cryptos que d’actions.

C’est même une personne sur deux parmi ces “nouveaux investisseurs” qui détient des cryptos, selon cette même étude…

Le mouvement est réel, même si le niveau de connaissances général reste assez bas. Il y a un manque criant des bases, savamment entretenu par les banques et les conseillers, qui nous font croire que c’est compliqué de gérer son argent.

Ce qui est faux ?

Ce n’est pas compliqué, il y a des règles très simples à respecter. La plateforme est là pour mettre la gestion de son patrimoine à la portée de tous.

Le profil de vos utilisateurs colle-t-il à celui des “nouveaux investisseurs” post-Covid ?

En partie, oui. Aujourd’hui, 80% de nos utilisateurs ont entre 25 et 50 ans. Ce sont plutôt des personnes déjà dans la vie active. Mais beaucoup en effet, ont investi pour la première fois pendant le Covid. Ceux qui débutent viennent chercher de l’éducation, ceux qui sont très avancés recherchent la centralisation de leur patrimoine, qui est très diversifié et éclaté entre plusieurs établissements et classes d’actifs.

Comment le patrimoine de vos utilisateurs a-t-il évolué ?

Plutôt dans le bon sens. L’actif le plus populaire sur notre plateforme, ce sont les ETF (Exchange Traded Fund), ce qui montre un profil de gestion très passive. Mais la crypto représente une part de plus en plus importante. On le voit très clairement car on a lancé un produit début octobre et on mesure une accélération assez forte. Chaque semaine on bat des records de volumes de trading et de fonds déposés sur la plateforme.

Vos utilisateurs sont-ils novices ou déjà avancés dans la crypto ?

Ils avaient déjà trempé le petit doigt de pied dedans, mais cela s’était mal passé parce qu’ils avaient acheté au moment de la fin du cycle haussier. Depuis, ils investissent un peu tous les mois, avec un montant moyen d’investissement en crypto de 400€ par mois, ce qui est assez conséquent. La crypto représente 10 à 15% de leur enveloppe d’investissement global. Dans le même temps, on constate que la part de l’investissement dans les livrets a beaucoup baissé.

C’est le retour de la prise de risque, selon vous ?

On constate en tout cas une décollecte nette des produits d’assurance-vie en fonds euros. Avec une inflation à 5%, investir à 2% par an ne sert plus à grand-chose. Et surtout, on peut faire mieux ailleurs, si on a un horizon de temps long et qu’on est prêt à accepter la volatilité, qui est intrinsèque aux marchés.

Pourquoi avoir créé ce plan d’investissement crypto ?

On veut devenir le compagnon patrimonial de nos utilisateurs, pour qu’ils puissent suivre leurs investissements et investir à des frais compétitifs, et sur les meilleurs produits. Quand en fin d’année dernière (2022), nous avons interrogé nos utilisateurs sur la classe d’actifs dans laquelle ils voulaient investir en 2023, c’est la crypto qui revenait en premier. Sauf que la part de la crypto représentait moins de 5% de leur portefeuille. Il y avait donc un gap, qui s’expliquait par certains freins.

Lesquels ?

Ces freins étaient nombreux : certains de nos utilisateurs avaient investi via une plateforme qui a connu un hack ou qui a fait faillite, comme FTX. Ils avaient peur d’investir sur une plateforme non régulée, ils n’avaient pas confiance, ou étaient perdus par l’abondance de choix. C’est pourquoi nous sommes devenus PSAN, pour proposer à nos clients de faire du DCA ou des achats au comptant, et en créant des “collections” (Bitcoin, Ethereum, Proof-of-Stake, DeFi, infrastructure…). Ce sont des marchés qui restent orientés par les les prix, mais je reste persuadé que sur le long terme la crypto surperforme les actions. Nous n’avons listé aucun shitcoin, parce qu’il n’y a aucun fondement.

Finalement vos utilisateurs ont une stratégie d’investissement plutôt sage ?

Tout à fait. J’ai coutume de dire que la meilleure stratégie est ennuyeuse : investir régulièrement dans quelques actifs, c’est l’inverse de ce qu’on nous vend sur YouTube. Cela ne fait pas x10 tous les mois, mais le prix n’est pas divisé par 10 non plus. Ce ne sont pas du tout des traders.

Quels sont les prochains services à venir sur Finary ?

Nous allons proposer du yield (staking et lending) afin de permettre aux utilisateurs de faire travailler leurs cryptos. Autre point important pour notre communauté, la fiscalité : nous allons bientôt leur fournir un IFU (imprimé fiscal unique) qui permettra de déclarer ses gains facilement. Nous travaillons aussi sur la possibilité de faire des swaps, pour passer en stablecoin plutôt qu’en fiat. Enfin, nous allons proposer la carte bancaire comme moyen de déposer des cryptos (aujourd’hui le virement via un IBAN français est déjà disponible).

Et sur les autres classes d’actifs, hors cryptos ?

Nous voulons devenir l’endroit central (”one-stop shop”) pour le patrimoine de nos utilisateurs. Où ils pourront aussi parler à un vrai conseiller. Notre but est de proposer un accompagnement de type banque privée mais accessible à tout le monde, sans barrière à l’entrée, grâce à l’IA qui va s’occuper de la paperasse administrative.

Vous avez levé des fonds d’une manière assez originale…

On a levé 15 millions d’euros à date, dont une levée de fonds communautaire de 2,5 millions d’euros bouclée en 20 minutes, ce qui était un record. Plus de 80% de nos utilisateurs sont d’ailleurs partants pour réinvestir dans Finary : c’est du capitalisme vertueux, la meilleure façon d’aligner les intérêts.

Que sera Finary dans cinq ans ? Vous voyez-vous rachetés par qui ?

Par personne. Mon rêve c’est de faire une entreprise aussi disruptive que Free, qui a cassé les monopoles de la téléphonie mobile et de l’Internet. Mais en restant indépendants et seuls maîtres à bord, sans avoir besoin de rejoindre un groupement bancaire ou d’assurance. Beaucoup de rachats ont vu la boîte initiale détruite par le nouvel acquéreur, en remettant l’entreprise en jeu chaque trimestre, avec une vision à court-terme. Nous visons le long terme.


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