Vie privée sur Internet : la Cnil et l’Autorité de la concurrence unissent leurs forces

Yann-Olivier Bricombert
| 4 min de lecture

Les deux entités régulatrices ont signé une déclaration commune pour mieux coordonner leurs actions en matière de vie privée et de numérique.

La protection de la vie privée et la concurrence


Sur Internet, le droit de protection de la vie privée et le droit de la concurrence sont deux notions qui s’imbriquent, plus ou moins facilement, mais qui parfois peuvent s’opposer. “Il y a parfois un conflit entre les deux”, explique Jean Tirole, prix Nobel d’économie et président honoraire de la Toulouse School of Economics (TSE).

Lorsque Meta (ex-Facebook) exige à ses utilisateurs de choisir entre payer un abonnement de 13€ par mois et lui laisser librement exploiter leurs données personnelles (ce qui vaut au géant une action en justice), est-ce uniquement une question de vie privée ou aussi de potentielle concurrence déloyale des Gafam ? Comment faire émerger les futures pépites de l’intelligence artificielle en France et en Europe sans remettre en cause les droits des utilisateurs ?

Toutes ces questions ont été au coeur d’une matinée d’échanges organisée ce mardi 12 décembre à Paris par la Cnil, l’Autorité de la concurrence (AdlC) et l’École d’économie de Toulouse (TSE).

Comment inciter à faire de la protection des données du consommateur un atout concurrentiel ? Faire le choix de mieux protéger les données personnelles de ses clients peut-il permettre de protéger ses parts de marché ? Plus généralement, des pratiques anticoncurrentielles pourraient-elles être mises en œuvre sous couvert d’un objectif de protection de la vie privée ?

Jean Tirole, prix Nobel d’économie.

Les alternatives du web3


Les plateformes web2 ne sont pas épargnées par les critiques, lorsqu’elles “partagent nos données sans notre consentement, ou avec notre consentement mais avec notre consentement mais quand il n’est pas éclairé : c’est ce qu’on appelle les dark patterns”. Exemple de “dark patterns”, les longues et obscures mentions de cookies à approuver sur chaque page web. Personne ne les lit en entier, mais elles sont pourtant obligatoires.

En matière de stockage de données, le web3 propose une alternative aux serveurs des Gafam, avec la détention de ses propres données ou le concept d’identité décentralisée. A l’inverse, un projet comme WorldCoin a soulevé de nombreuses critiques et réserves sur sa capacité à préserver la confidentialité des données de ses utilisateurs. On peut regretter que ces sujets n’aient pas été abordés lors de cette matinée d’échanges.

Instauré en 2018, le règlement général sur la protection des données (RGPD) “peut favoriser les grandes entreprises, il y a des effets de taille importants”, constate Brice Allibert, chef de l’unité antitrust : informatique, internet et électronique grand public à la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne (DG COMP). “Si vous êtes une grosse entreprise vous avez des rendements d’échelle dans la collecte, l’analyse des données.”

[…] Le niveau de protection des données personnelles est désormais appréhendé comme un paramètre de concurrence, pris en compte par les utilisateurs pour exercer leurs choix de consommation. Le maintien d’une concurrence effective sur les marchés, notamment dans l’économie des plateformes, est ainsi de nature à favoriser, dans certaines conditions, la protection des données personnelles.
La table ronde organisée à la Cnil, le 12 décembre 2023.

Une meilleure intégration entre les deux régulateurs


A l’issue d’une table ronde, Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL et Benoît Cœuré, président de l’Autorité de la concurrence, ont signé une déclaration conjointe. Une façon de concrétiser une collaboration de longue date, et de souligner les enjeux communs, à l’heure où la donnée est devenue le principal actif des sociétés du numérique. Les deux régulateurs entendent multiplier les actions coordonnées (séminaires, formations, évènements). “C’est une rue à double sens” a illustré Benoît Cœuré.

La Cnil et l’Autorité de la concurrence entendent enfin donner une dimension européenne à leurs travaux : elles exploreront ensemble les possibilités de coopération entre autorités nationales, rassemblées au sein du Réseau européen de concurrence (REC) et du Comité européen de la protection des données (EDPB).

Au centre, Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL et Benoît Cœuré, président de l’Autorité de la concurrence (à droite).

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