Sam Bankman-Fried va-t-il rester en prison jusqu’à son procès ?

Matthieu Dumas
| 8 min de lecture

Sam Bankman-Fried, le fondateur et ancien PDG de la plateforme d’échange de cryptomonnaies FTX, est actuellement détenu dans une prison fédérale à Brooklyn, après que sa liberté sous caution ai été révoquée par un juge américain qui l’accuse d’avoir tenté de suborner des témoins

Bankman-Fried fait face à un procès prévu pour le 3 octobre, où il devra répondre de huit chefs d’accusation de fraude et de complot, liés au détournement de milliards de dollars de fonds de ses clients. S’il est reconnu coupable, il risque jusqu’à 115 ans de prison

Mais Bankman-Fried a-t-il une chance de sortir de prison avant son procès ? Et quelles sont les conséquences de son incarcération pour l’industrie des cryptomonnaies ?

Les raisons du retrait de la caution

Bankman-Fried avait été arrêté en décembre 2022 aux Bahamas, où il résidait depuis la faillite de FTX en août 2022. Il avait été extradé vers les États-Unis, où il avait été libéré sous caution moyennant une somme de 250 millions de dollars. Il devait respecter plusieurs conditions, dont le port d’un bracelet électronique, l’interdiction de quitter le pays et l’interdiction de contacter des témoins potentiels contre lui.

Or, selon les procureurs fédéraux, Bankman-Fried a violé ces conditions à plusieurs reprises. Ils ont présenté au juge Lewis Kaplan des éléments montrant que Bankman-Fried avait utilisé un réseau privé virtuel (VPN) pour contourner la surveillance électronique et communiquer avec des personnes liées à son affaire. 

Ils ont également affirmé que Bankman-Fried avait tenté d’influencer l’un des témoins clés du procès, Caroline Ellison, son ancienne compagne et ex-directrice générale de FTX. Bankman-Fried aurait partagé avec un journaliste du New York Times des écrits personnels d’Ellison, dans le but de la discréditer et de la dissuader de témoigner contre lui.

Le juge Kaplan a estimé qu’il y avait des motifs probables pour croire que Bankman-Fried avait essayé de « suborner des témoins au moins deux fois » depuis son arrestation. Il a donc ordonné le retrait de sa caution et son placement en détention provisoire au Metropolitan Detention Center (MDC) de Brooklyn, une prison fédérale connue pour ses conditions déplorables. Les avocats de Bankman-Fried ont immédiatement fait appel de cette décision, mais sans succès jusqu’à présent.

Les arguments de la défense

Les avocats de Bankman-Fried ont plaidé que leur client n’avait pas l’intention d’entraver la justice, mais qu’il voulait simplement défendre sa réputation et exercer son droit à la liberté d’expression. Ils ont soutenu que les écrits d’Ellison étaient pertinents pour montrer qu’elle avait menti aux autorités et qu’elle avait un motif financier pour accuser Bankman-Fried. 

Ils ont aussi affirmé que Bankman-Fried n’avait pas utilisé le VPN pour se soustraire au contrôle judiciaire, mais pour protéger sa vie privée et accéder à des sites web bloqués aux États-Unis.

Les avocats de Bankman-Fried ont également invoqué des raisons humanitaires pour demander sa libération. Ils ont déclaré que Bankman-Fried souffrait d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et d’une dépression, et qu’il avait besoin de médicaments spécifiques pour les traiter. Ils ont aussi indiqué que Bankman-Fried était végétalien et qu’il ne recevait pas une alimentation adaptée à ses besoins nutritionnels en prison. Selon eux, ces conditions « affectaient sa capacité à participer à la préparation de sa défense. »

Les avocats de Bankman-Fried ont proposé plusieurs alternatives à la détention provisoire, comme le placement en résidence surveillée dans un appartement loué à New York, ou le transfert dans une autre prison fédérale offrant de meilleures conditions. 

Ils ont aussi offert d’augmenter le montant de la caution, ou de renoncer à certains droits constitutionnels, comme le droit au silence ou le droit à un procès rapide. Mais le juge Kaplan a rejeté ces propositions, estimant qu’elles ne garantissaient pas que Bankman-Fried ne tenterait pas de nuire au bon déroulement du procès.

Les conséquences pour l’industrie des cryptomonnaies

L’incarcération de Bankman-Fried est un coup dur pour l’industrie des cryptomonnaies, qui voit l’un de ses représentants les plus emblématiques et les plus influents derrière les barreaux. Bankman-Fried était considéré comme un pionnier et un innovateur dans le domaine des échanges de cryptomonnaies, ayant fondé FTX en 2019 et l’ayant transformé en l’une des plus grandes plateformes du monde, avec un volume quotidien de transactions dépassant les 10 milliards de dollars. Il était aussi connu pour ses contributions philanthropiques, ayant donné plus de 100 millions de dollars à des causes sociales et environnementales.

Mais Bankman-Fried est aussi accusé d’avoir orchestré l’une des plus grandes fraudes financières de l’histoire des États-Unis, ayant détourné plus de 6 milliards de dollars de fonds appartenant à plus de 2 millions de clients de FTX.

Il aurait utilisé ces fonds pour couvrir les pertes de son fonds spéculatif Alameda Research, qui pariait sur la volatilité des cryptomonnaies. Il aurait aussi utilisé ces fonds pour financer sa campagne politique, ayant versé plus de 100 millions de dollars à des candidats favorables aux cryptomonnaies lors des élections législatives de 2022.

L’affaire Bankman-Fried a terni l’image des cryptomonnaies auprès du grand public et des autorités réglementaires, qui y voient plus que jamais un secteur propice aux escroqueries, au blanchiment d’argent et à la manipulation de marché. Elle a aussi suscité des interrogations sur la fiabilité et la sécurité des plateformes d’échange de cryptomonnaies, qui opèrent souvent dans des zones grises juridiques et sans supervision adéquate. Elle a enfin provoqué une chute des cours des cryptomonnaies, qui ont perdu plus de 50 % de leur valeur depuis le début de l’année.

La suite du procès

Le procès de Bankman-Fried devrait débuter le 3 octobre prochain devant le tribunal fédéral du district sud de New York. Il sera jugé par un jury populaire, composé de 12 citoyens américains tirés au sort. 

Le procureur en charge du dossier est Audrey Strauss, la procureure fédérale par intérim du district sud de New York, qui a succédé à Geoffrey Berman, limogé par Donald Trump en juin 2020. La défense de Bankman-Fried est assurée par Mark Cohen, un avocat réputé qui a notamment représenté Elon Musk dans son litige avec la Securities and Exchange Commission (SEC).

Le procès devrait durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en fonction du nombre et du type de témoins appelés à la barre. Parmi les témoins potentiels figurent Caroline Ellison, l’ex-compagne et ex-directrice générale de FTX, qui aurait coopéré avec les autorités en échange d’une immunité ; Gary Gensler, le président de la SEC, qui aurait enquêté sur les activités illégales de FTX ; et Changpeng Zhao, le fondateur et PDG de Binance, la plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies au monde, qui aurait été en concurrence avec FTX.

Le verdict du procès dépendra essentiellement des preuves présentées par les deux parties, ainsi que du ressenti et du jugement du jury. Si Bankman-Fried est reconnu coupable, il encourt une peine maximale de 115 ans de prison. Mais il pourrait aussi bénéficier d’une peine plus clémente s’il plaide coupable ou s’il conclut un accord avec les procureurs.

Une sortie de prison prévu ?

La possibilité de sa libération sous caution est faible. Le juge Kaplan ayant déjà estimé que Bankman-Fried avait essayé de suborner des témoins, il est peu probable qu’il lui accorde une nouvelle caution, même si ses avocats proposent des conditions plus strictes.

L’incarcération de Bankman-Fried est un coup dur pour l’industrie des cryptomonnaies. Qu’on le veuille ou non, il était l’un de ses représentants les plus emblématiques et les plus influents du milieu aux yeux du grand public.

Le procès de Bankman-Fried sera donc un test important pour l’industrie des cryptomonnaies. Il déterminera si le secteur est capable de se réguler lui-même et d’éviter les escroqueries et les fraudes.

Source : The Time, CNN, Decrypt