A quoi s’attendre pour 2024 ? Entretien avec l’EUCI, le plus gros lobby crypto européen

Yann-Olivier Bricombert
| 6 min de lecture

Créé en 2020 pour défendre les intérêts de l’industrie crypto à Bruxelles, dans le sillage de la réglementation MiCA, l’European Crypto Initiative (EUCI) est impliqué dans les discussions les plus importantes sur la régulation.

Marina Markezic, juriste, co-fondatrice et directrice exécutive, dresse un bilan de 2023. L’année 2024 s’annonce comme une année capitale, entre les élections européennes, l’entrée en vigueur de MiCA, et la régulation sur les stablecoins et la DeFi.

Pouvez-vous nous présenter ce qu’est l’EUCI et sa mission ?

L’EUCI est une organisation à but non lucratif de défense des intérêts de l’industrie crypto, basée à Bruxelles. Elle a été créée il y a trois ans lorsque MiCA a été publiée pour la première fois, en septembre 2020.

Lorsque nous avons lu le projet, nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose ensemble, car ce texte allait impacter tout ceux qui travaillent dans cet écosystème. Les plateformes d’échange avaient leurs propres structures de défense de leurs intérêts en interne, mais il manquait une voix pour les DAO (organisations autonomes décentralisées) et la DeFI (finance décentralisée).

Nous avons vu émerger des discussions autour des portefeuilles crypto (hébergés ou non par les particuliers), comment ils sont utilisés, la confidentialité, etc. Nos membres sont des layers 1 (les fondations Ethereum, Near, Interchain…), mais aussi des acteurs comme Messari, ou des protocoles de staking.

Quels sont les sujets importants discutés en ce moment à Bruxelles ?

En ce moment, tout le monde essaie de finaliser les travaux en matière de régulation d’ici les vacances de Noël. La présidence espagnole au Conseil de l’UE s’achève au 31 décembre 2023. Elle sera suivie par la présidence belge à compter du 1er janvier 2024, mais qui sera d’une durée très coute à cause des élections. Ces dernières semaines, nous avons eu d’intenses discussions pour finaliser ces documents.

Comme vous le savez MiCA est terminé, mais le second volet est mené actuellement par l’Autorité bancaire européenne (EBA) et l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma). Nous sommes en train de répondre à ces deux institutions, en particulier le deuxième volet de l’Esma qui nous est réclamé pour le 14 décembre. Il est question de soutenabilité, des informations que les plateformes d’échange doivent partager… Cela représente environ 80 questions.

L’autre sujet très important, c’est la régulation sur les stablecoins, qui est en discussion à la Commission européenne, et pour laquelle nous avons une date limite au 6 décembre. La question est comment les superviser, lesquels sont significatifs, lesquels ne le sont pas. Or nous savons que les stablecoins les plus importants seront régulés de manière assez stricte. Il est donc capital pour nous de comprendre comment ces différences seront faites. Nous nous préparons aussi pour les contributions de l’EBA, dont la deadline est en janvier.

Le dernier sujet, c’est tout le package anti-blanchiment d’argent et financement du terrorisme en discussion en ce moment au Parlement européen. Ils souhaitent toujours le finaliser avant la fin de la présidence espagnole, au cours des trilogues (des réunions informelles tripartites entre le Parlement, le Conseil et le Parlement européen).

En terme de lieux de pouvoir, où se décident la régulation crypto de demain, diriez-vous que Bruxelles est à l’Europe ce que Washington D.C. est aux Etats-Unis ?

Oui, c’est assez juste, je pense en effet que c’est très similaire. Cependant je pense que 90% des informations qui nous impactent au niveau mondial viennent de Washington, bien que ce qui se passe à Bruxelles soit aussi très important pour nous, mais cela fait moins souvent la couverture des médias.

Aux Etats-Unis, il y a un côté “film d’action”, avec des décisions prises de force de la SEC (Securities and Exchange Commission), concernant tel ou tel exchange. En Europe, tout est plus stable, parfois un peu ennuyeux. Nous avons des élections, qui vont déboucher sur un nouveau Parlement. La Commission finalisera son Plan… Tout est très planifié.

En quoi les décisions prises autour de la crypto sont-elles politiques ?

Il y a beaucoup de politique en jeu. Les trois institutions qui sont impliquées dans les processus de décision sont en revanche très différentes les unes des autres.

La Commission est la plus experte, certains membres travaillant sur ces sujets depuis des années. Puis, il y a le Conseil de l’Europe, qui est composé des Etats membres, et qui est plus orienté sur les intérêts des pays eux-mêmes, ce qu’on voit en ce moment autour de la question de l’euro numérique.

Enfin, il y a le Parlement européen, qui est l’organe le plus politisé : les députés tweetent beaucoup, ils veulent faire savoir à leurs électeurs ce qu’ils font, votent, et pensent. Parfois, même si la Commission a une bonne idée, quand elle arrive au Parlement elle devient très politisée.

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Quel bilan peut-on tirer des six mois de la présidence espagnole concernant les cryptos ?

La présidence espagnole a mis beaucoup d’effort pour finaliser le paquet sur la lutte contre le blanchiment, qui ne concerne pas que la crypto. Ils ont beaucoup travaillé sur la directive sur les services de paiements, qui sera en quelque sorte fusionnée avec la directive sur la monnaie électronique, qui définira sans doute la manière dont on définira les stablecoins.

Que faut-il attendre de la présidence belge ?

Sur un mandat court, ils auront un focus très technique. La blockchain fait partie de leur stratégie, ils souhaitent la soutenir du mieux que possible, ce qui est une bonne nouvelle. MiCA était focalisé sur la crypto, je pense que nous nous focaliserons plus sur les usages de la blockchain. Nous avons publié un manifeste que tout le monde peut signer et qui récapitule les sujets sur lequels se concentrer pour le prochain mandat.

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De quelles avancées êtes-vous les plus fiers ?

Ce dont nous sommes le plus fiers, c’est notre engagement pendant le processus de négociation MiCA. Nous n’étions pas les seuls à être actifs sur le sujet. Les projets décentralisés n’ont pas été inclus dans la régulation ; ils le seront dans un deuxième temps. Nous avons eu pour ambition d’être le plus neutre possible sur le plan de la technologie. Nous avons également travaillé sur le Data Act qui voulait réguler les smart contracts. Je ne dirais pas que nous avons déjà atteint notre but, mais nous avons au moins sensibilisé l’opinion publique, en publiant un document à destination des journalistes.

Il faut garder un oeil sur ce qui arrive concernant la régulation AML (anti-money laundering), comment les crypto actifs sont régulés, car nous devons avoir une tolérance zéro en la matière tout en s’assurant que les cryptos peuvent être utilisés de manière native à l’avenir.


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