Finance traditionnelle et DeFi : unies pour le meilleur ou pour le pire ?

Yann-Olivier Bricombert
| 4 min de lecture

La finance décentralisée (DeFi) est-elle réellement plus décentralisée que la finance traditionnelle ? Ces deux mondes pourraient bien se retrouver autour d’un objectif commun : le retour de la confiance des utilisateurs, dans un secteur des cryptos malmené par les scandales à répétition.

Les limites de la centralisation


Le mois de novembre est décidément bien peu propice à la tranquillité dans l’écosystème crypto. L’an dernier, c’est l’échange FTX qui s’effondrait avec à sa tête Sam Bankman-Fried, entraînant dans sa chute les prix du marché. Cette année, c’est Binance, la plateforme leader mondial, qui fait les gros titres : son désormais ex-président, Changpeng Zhao dit “CZ”, a démissionné et négocié des amendes records avec les autorités américaines pour diverses infractions.

Entre les hacks de wallets et de protocoles, et les faits-divers liés aux fondateurs, les plus sceptiques sur l’écosystème web3 estiment qu’il n’aurait presque plus rien à envier à la finance traditionnelle (TradFi) tant décriée, contre laquelle il avait pourtant bâti sa raison d’être il y a quinze ans. La première des cryptos, Bitcoin, créée en 2008, avait été conçue comme une alternative aux banques lors de la crise de Wall Street.

“CZ était devenu Binance”, remarque Nicolas Vaimain, co-fondateur de Bubblemaps, une application de visualisation de données on-chain, lors des Dauphine Digital Days, organisés par l’université parisienne. “Cela peut apparaître comme un coup dur pour la crypto, mais in fine moins il y a d’incarnation, de personnalisation autour d’un leader, et plus on s’approchera de cette organisation décentralisée.”

Finance “ouverte” sur la blockchain


“Je préfère le terme « Open Finance » (finance ouverte) ou finance sur les blockchains, plutôt que DeFi”, estime pour sa part Pablo Veyrat, co-fondateur et principal contributeur du protocole décentralisé Angle, qui émet le stablecoin agEURO (35 millions de dollars de valeur verrouillée sur la blockchain). Il s’exprimait lors de la Matinale de la DeFi organisée par Finance Innovation. “Au final la blockchain c’est juste une base de données, une API géante.” Face aux autres stablecoins centralisés, comme l’USDC de Circle ou l’USDT de Tether, les cryptos “stables” adossées aux devises sont peut-être le meilleur exemple du mariage possible entre TradFi et DeFi.

Les grandes institutions bancaires et financières ne s’y sont d’ailleurs pas trompées. BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde, est sur le point d’obtenir un ETF au comptant (spot) pour Bitcoin. “Tout le monde a compris les enjeux de la DeFi. C’est le socle de la finance de demain”, poursuit Élodie Trevillot, directeur de la réglementation, de la conformité et du contrôle permanent à la Banque Delubac & Cie, l’une des banques pionnières en crypto en France.

Le poids des fonds de capital-risque


Ce n’est pas parce qu’une startup développe un projet crypto qu’elle n’est pas soumise aux mêmes questionnements que dans le monde “traditionnel” de la tech. Notamment, le poids des fonds de capital-risque (VC) dans les protocoles DeFi nourrit régulièrement les débats. Le très puissant fonds VC Andreessen Horowitz, plus connu sous l’acronyme a16z, détient à lui seul 19,4 millions de tokens UNI, et peut faire voter n’importe quelle décision concernant le protocole d’Uniswap, comme cela est arrivé en février dernier sur un vote concernant la BNB Chain.

Visualisation des tokens UNI détenus par le fonds Andreesen Horowitz (a16z) | Bubblemaps.

Mais pour une startup crypto, se passer du capital des fonds VC, bien que centralisés, c’est mettre au défi sa capacité à croître rapidement. Un dilemme entre volonté de décentralisation et croissance qui crée des noeuds au cerveau de bon nombre de projets de DeFi.

“La plupart des détenteurs de tokens votent peu faute d’incentives”, constate Alexis Masseron, co-fondateur d’AtlendisLabs, une marketplace de crédit privé, qui met en relation des investisseurs et des entreprises qui ont besoin de se faire financer. “A la fin, ce sont les investisseurs privés qui ont les plus grosses positions qui s’investissent le plus, car eux savent qu’ils vont gagner de l’argent ou en perdre.”

L’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) préfère le terme de finance “désintermédiée” plutôt que “décentralisée”. Selon l’organisme, qui dépend de la Banque de France, la gouvernance de nombreux protocoles DeFi apparait comme “faussement décentralisée” (« decentralised in name only » ou DINO). Des pistes pour réguler les transactions sur la blockchain sont étudiées par les autorités, comme la certification des smarts contracts.

Et si le premier volet du règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) a mis de côté le sujet de la DeFi, “il est fort à parier que son successeur, MiCA2, vienne traiter cette question” dans les mois à venir.


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